Par SAÏMIRI (Jean WOHRER), son « dernier responsable »
ETE 1970 : LA FIN DE LA TROUPE MONTAIGNE, POURQUOI ?
Par SAÏMIRI (Jean WOHRER)
Lors de nos deux dernières et sympathiques retrouvailles, une question est revenue : pourquoi et comment cette belle aventure du scoutisme à Montaigne s’est-elle terminée ? Comme j’ai vécu cette fin en tant que « dernier responsable », et ayant passé 13 belles années de ma vie de louveteau-éclaireur-routier avec Montaigne, il paraît que je devrais pouvoir répondre, mais l’affaire n’est pas simple…
Le camp d’été 1968 du Briançonnais mérite de débuter ce récit. J’étais SP à cette époque. En apparence, c’était un camp comme les précédents : le lieu de camp était superbe, les « astuces » bien réussies (même celles des filles, messieurs les machos mauvaises langues, encore qu’un certain vaisselier en ficelle nous a bien fait ricaner), avec un mât aux couleurs sur le lieu de rassemblement, les grands jeux étaient toujours aussi enthousiasmants (j’avais « bidouillé » avec une boite de bricolage électronique, un détecteur rudimentaire qui a bien enquiquiné les responsables en faisant presque « foirer »une attaque de nuit), les éclaireurs et éclaireuses étaient souvent les fils et filles de personnalités connues et/ou d’intellectuels (5ème arrondissement de Paris oblige : Julien Clerc, Pia Moustaki, Catherine Ambroise-Rendu, la liste est longue), mais…
Mais il y avait dans l’air une ambiance de Mai 68 ! Difficile d’être coupés du monde extérieur dans une période pareille. Matériellement, les intendants doivent se souvenir de l’essence pas évidente à trouver et des approvisionnements acrobatiques. Mais, plus important, c’est dans les têtes que cela bouillonnait : tout devenait « politique » et prétexte à discussion … Qui donc a eu l’idée de faire disparaître le drapeau français ? Et les responsables qui écoutent sans arrêt les nouvelles à la radio et qui discutent pendant toute la nuit en refaisant le monde…. L’exutoire, c’est le Journal Télévisé, durant lequel chaque patrouille improvise ses « informations » derrière un cadre figurant l’écran de télévision. Que de conversations où le rôle des « chefs » est analysé, commenté, contesté…comme dans le reste de la France : il faut refaire le monde et tout réinventer. Rien d’étonnant donc à ce qu’en Août 1968, les responsables et une bonne partie des CP s’engagent dans des responsabilités collectives, artistiques, politiques, syndicales, qui les éloignent du scoutisme.
La conséquence, c’est qu’à la rentrée 1969, la génération qui aurait dû reprendre le flambeau de l’encadrement de la Troupe est ailleurs, en train de s’investir et de refaire le monde, chacun à sa façon. Montaigne redémarre donc cahin-caha, et l’organisation du camp d’été 1969 pose problème : cherche personne majeure désespérément. Heureusement, Michel Poss, un grand frère, se dévoue pour assumer la responsabilité de chef de camp et découvre les relations avec les EEDF (la, ça va encore) et la Jeunesse et les Sports (c’est plus acrobatique..). Le camp de 1969 se déroule sans trop de problème, mais avec un effectif éclaireurs-éclaireuses réduit et un encadrement trop jeune et inexpérimenté pour relancer la dynamique.
La fin de l’histoire, c’est donc 1969/70. De moins en moins de monde, et pas de responsables. (je peux difficilement passer pour un responsable à 17 ans) Montaigne ne peut plus vivre sur ses seules forces et la solution pour le camp d’été 1970 à Brassy a été le regroupement des deux patrouilles restantes de Montaigne avec la troupe des Tourelles sur un même lieu de camp, avec la Troupe de Vincennes à proximité, qui fait « intendance commune ». Difficile de gérer des historiques et des habitudes différentes. Un camp très moyen donc, sur le plan du scoutisme. De façon totalement partiale, je dirai que Tourelles-Montaigne était à peu près scout, en comparaison de Vincennes dont le campement était « baba-cool Woodstock » !
Fin de la troupe Montaigne.
Et après ?
De Montaigne, il restera un clan dont je ferai partie, avec Peri, Marcassin et quelques autres et qui fera de la spéléo (un peu) et de la musique et de l’animation (beaucoup plus) pendant encore un moment avant extinction complète de la flamme.
Et un couple, puisqu’Alpaca, responsable des Tourelles en 1970, et moi continuons encore l’aventure à deux, mais c’est une autre histoire…
Alors quelle(s) explication(s) à cette fin de la Troupe Montaigne en 1970 ?
Réponse tout à fait personnelle et discutable : L’extinction de Montaigne a probablement les mêmes raisons que celles qui expliquent la déliquescence globale des EEDF à la même période :
- Nos aînés historiques d’après-guerre, ceux qui ont rallumé le feu sacré, partent en retraite ou nous quittent. Les EEDF ne savent plus expliquer correctement la formation éducative scoute. A force de compromis (uniforme, mixité, camp trop court, activités non continue dans l’année…), le scoutisme ne ressemble plus à rien, et ne fait pas le poids par rapport aux loisirs collectifs organisés proposés aux enfants (stages sportifs, UCPA, activités des comités d’entreprise..). Il n’y a plus de références, le scoutisme fait ringard. Les parents ne suivent plus.
- Les éclaireurs n’échappent pas à la contestation globale de toutes les structures établies. Sans l’appui de l’Eglise, le scoutisme laïc ne tiendra pas le choc.
- La forêt est devenue impraticable pour les activités de plein-air. Les transports coûtent plus cher. Les propriétés des EEDF sont vendues.
- Les responsables s’engagent dans toutes les formes de mouvements sociaux.
- Le temps du bénévolat des responsables est passé : on veut être indépendant financièrement de ses parents, or encadrer une colonie de vacances rapporte un peu de sous.
A vous de compléter la liste, si vous le souhaitez… et à bientôt pour en rediscuter autour du feu de camp.
En tout cas, l’aventure était belle !
Quelques commentaires :
Tout d’abord sur le groupe Montaigne. Il reste un des grands témoins de la « grande histoire » du Mouvement sur Paris. Dans la période où la quasi-totalité des lycées étaient dotés d’un groupe EEDF bien installé dans les structures de l’établissement dont ils faisaient, en quelque sorte, partie des meubles. Bonne occasion d’ailleurs de retrouver sur le site les souvenirs du groupe du lycée Henri IV voisin…
Comme le dit très bien Saïmiri, Montaigne accueillait les enfants de diverses personnalités parisiennes ; il avait compté, par exemple dans les années 50, parmi ses responsables, Pierre Joxe, dont le parcours en politique est bien connu. Il avait la réputation d’être un groupe « bourgeois », comme le 5ème arrondissement de Paris dans lequel il était implanté. Certains se rappellent les gants blancs des éclaireuses et éclaireurs ! Et leurs tenues considérées comme usagées étaient recupérées par le groupe de sourds voisin.
Membre l’équipe régionale parisienne dans cette période, je peux donner quelques informations sur son environnement : la région dite de Paris se limitait à Paris et à trois départements proches (92,93,94), les autres départements étant regroupés dans la région « Ile de France ». Elle représentait environ 3500 cotisants, tous membres « classiques », sans services vacances ou autres (soit environ 10 % de l’effectif total du Mouvement). Elle disposait de trois investissements :
- Le centre de rencontres de Sénart, en pleine forêt, à la disposition des groupes pour les week-ends et les petites vacances,
- L’investissement « branche verte » de Cautines, lieu de camp situé en Corrèze (où il avait été inauguré en présence de Jacques Chirac, alors président du conseil général)
- L’investissement « branche jaune » de Sainte-Suzanne en Mayenne, où a été organisé le premier camp de futurs « lutins ».
Aucun de ces investissements n’a été vendu dans la période concernée, ils tournaient à plein et on envisageait même un deuxième investissement branche verte…
Dans toute la mesure du possible, tous ces groupes et ces investissements s’efforcaient de faire « du scoutisme » et l’équipe régionale s’efforcait de proposer des activités de formation, en particulier dans ces investissements. Très souvent, les groupes vivaient leur petite vie dans leur coin ou à quelques-uns.
Lors des congrès régionaux, les rapports d’activité trouvaient une majorité relativement limitée (autour de 55 %) en face de la double opposition de « traditionnalistes » qui ne les trouvaient pas assez classiques, et révolutionnaires, qui les trouvaient trop classiques. (Rappelons que les statuts EEDF ne prévoient pas d’articles 49.3 !)
Dans les années évoquées – de 1968 à 1970 – le Mouvement n’a pas encore connu sa grande crise, qui commencera en 1972. Comme dans la société elle-même, les germes y sont présents. Et mai 68 va leur donner l’occasion de s’exprimer, en particulier dans les grands lycées parisiens « intellectuels » qui vont se joindre au mouvement. Le lycée Montaigne a été, en plein milieu du quartier latin, un des hauts-lieux de la contestation.
Y. Bastide