2011 : Le colloque « terminal » de l’année du Centenaire : 2 : Former des citoyens: synergie et complémentarité́ des pratiques éducatives du scoutisme laïque et de l’Éducation Nationale

Deuxième document retrouvé par Vincent Cocquebert, que nous remercions pour ce nouveau témoigange d’une grande activité de notre Centenaire

 

Animateur : Thierry Piot – Professeur des Universités de Sciences de l’éducation à l’Université de Caen

Intervenants :

  • Roger Vrand – Sous-directeur de la vie scolaire, des établissements et des actions socio- éducatives,
  • Philippe Claus – Inspecteur Général de l’Education Nationale / doyen du groupe enseignement primaire,
  • Vincent Cocquebert – Délégué́ Général des Éclaireuses, Éclaireurs de France.

 

Thierry PIOT

Je pense que nous allons pouvoir commencer ce symposium même si certains et certaines vont nous rejoindre progressivement, mais en même temps si on commence trop tard – ce n’est pas propre aux Eclés d’avoir un quart d’heure de battement et on a eu ce quart d’heure – donc je pense qu’on peut ouvrir les travaux de ce symposium. Symposium qui s’intitule : « Former des citoyens : synergie et complémentarité́ des pratiques éducatives du scoutisme laïque et de l’Éducation Nationale. »

Pour discuter, débattre, disputer au sens classique, du terme dispute, de cette problématique, plusieurs intervenants : Roger Vrand, qui est sous-directeur au ministère de l’Éducation Nationale, sous-directeur de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives, Philippe Claus est Inspecteur Général de l’Éducation Nationale/doyen du groupe enseignement primaire, et vous connaissez Vincent Cocquebert, le délégué́ général des Éclaireuses, Éclaireurs de France, les Eclés pour les intimes, et pour animer ce remarquable trio, moi-même, qui suis Professeur à l’Université́ de Caen en Sciences de l’Éducation.

Je vais commencer par un petit propos introductif avant de donner un temps de parole à chacun des intervenants et puis, la dernière partie de la séance sera une discussion sur les éléments qui ont été́ apportés par les uns et les autres.

Je ferai mon petit mot d’introduction autour de former des citoyens et sur « qu’est-ce que c’est qu’un citoyen ».

Alors, un citoyen, c’est un habitant de la cité, ce mot au sens générique, et dans citoyenneté́ on a l’idée de vivre ensemble, on a l’idée à la fois de lien social, mais aussi d’épanouissement personnel.

En même temps :

  • –  il y a l’idée d’apprendre, par le fait d’être ensemble ;
  • –  il y a l’idée d’agir, parce qu’on apprend à partir de ce qu’on fait – et pas simplement du point de vue

académique par l’étude ;

  • –  il y a l’idée d’expérimenter, c’est-à-dire de se donner le droit de se tromper
  • –  il y a aussi l’idée d’évaluer et il y a aussi l’idée de progresser, de progresser collectivement et

individuellement. Ce qui signifie que le citoyen dont on parle, celui qu’on vise, c’est celui d’un acteur engagé et d’un acteur solidaire, d’un acteur éclairé́ (a écrit Condorcet).

On est donc bien là dans une logique de responsabilisation des personnes, et une logique d’émancipation, au sens que lui donne l’Éducation Populaire. C’est donc une posture que celle d’être un citoyen et que celle de former des citoyens. Cependant, la formation d’un citoyen se fait dans un contexte précis et avec un arrière-plan que dans l’histoire contemporaine, on appelle « la seconde modernité́ ».

Le titre général du colloque parle du 21ème siècle. Quels sont donc les éléments saillants qui vont servir d’arrière-plan à la construction de ce citoyen ? Je vais en citer rapidement trois :

  • –  Le premier, c’est qu’on est dans un période depuis les années 70, une période qui est marquée par l’érosion d’un certain nombre d’éléments. La première érosion est celle qu’on appelle en sociologie, un monde « enchanté », par l’idée selon laquelle le progrès serait un vecteur mécanique du bonheur humain. On s’est aperçu qu’il n’en est pas ainsi. Ce qui signifie corrélativement l’érosion d’un certain nombre de certitudes dont étaient porteuses les institutions aux 19ème et 20ème siècles. Je cite, l’excellent livre de François DUBET : « le déclin des institutions », parce que sa lecture est fluide et n’est pas réservée au monde universitaire. Et je dirais même aussi, j’ose devant vous, de l’espérance dont était porteuse l’Éducation Populaire au 19ème siècle et même après la seconde guerre mondiale. Et là, c’est un clin d’œil à l’excellent ouvrage de Benigno Cacérès: «Histoire de l’éducation populaire ». On est dans un mode de changement accéléré́, et à ces changements, l’Ecole d’un côté́, les Éclaireuses et Éclaireurs de France d’un autre côté́, ont eu du mal à s’adapter depuis une vingtaine d’années.
  • –  Le deuxième élément, encore que de ce point de vue, les « Eclés » résistent bien, c’est une transmission intergénérationnelle moins évidente. Les ruptures technologiques – je prends par exemple le phénomène des réseaux sociaux – montrent bien les difficultés, qui n’existaient pas sur les générations antérieures, à se transmettre un certain nombre de valeurs, à se transmettre un certain nombre de repères parce qu’on vit plus vite, parce qu’on vit plus éclaté́ et parce qu’on vit avec un certain nombre de ruptures, on est dans une logique ou les certitudes d’hier…on est à peu près sûrs qu’elles ne seront pas celles de demain.
  • –  Un autre élément un petit peu moins fort, mais qui est quand même assez important, c’est la judiciarisation de la vie sociale. L’ensemble de lois, de règlements, – les Éclaireurs le savent bien, quand on faisait des camps de scoutisme, il y a 25 ans, et qu’on essaie aujourd’hui de monter des centres de vacances, on voit bien que l’ensemble de l’arsenal juridique qui est sensé́ sécuriser, protéger, empêche aussi d’être un espace parfois d’initiative, de création, et d’invention. Espace qu’historiquement les Éclaireuses, Éclaireurs de France ont toujours habité.

Alors la question qui se pose c’est « quels rôles peuvent jouer conjointement l’Éducation Nationale et les Éclaireuses, Éclaireurs de France ? ». Et en même temps quel rôle d’éducation ? C’est à la fois, connaître et d’une certaine manière aujourd’hui, s’orienter dans un monde dans lequel les repères sont moins lisibles, dans lequel l’avenir, même à court terme est moins prévisible. Et un monde dans lequel, c’est la notion d’incertitude qui a pris le pas sur les certitudes des générations précédentes. Et si on regarde et on fait un clin d’œil à l’actualité́ économique et financière, on sait bien ce que ça veut dire l’incertitude qui domine. Alors, il s’agit de connaître, de s’orienter, Socrate disait déjà̀ « connais-toi, toi-même » comme base, j’allais dire des fondamentaux de l’éducation classique.

La question donc que je pose à nos orateurs, c’est, quelles sont les démarches, quels sont les dispositifs, quels sont les outils qui permettront d’engager et d’accompagner le devenir citoyen des jeunes aujourd’hui ? Non pas avec des réponses toutes faites, on sait qu’elles n’existent pas, mais des réponses qui soient dynamiques et des réponses qui permettent l’adhésion, non pas simplement au niveau rhétorique, mais l’adhésion en actes des jeunes dans leur devenir citoyen.

Voilà, ayant fait cette courte introduction, je vais passer la parole dans un premier temps à Philippe Claus qui va nous parler d’un outil et de la genèse de cet outil. Cet outil, c’est « le socle commun des connaissances et des compétences »

 

Philippe CLAUS

Merci beaucoup et bonjour à vous toutes et tous.
D’abord, c’est pour moi toujours un plaisir de parler du socle commun de connaissances et de compétences parce que je pense que c’est peut-être l’évènement éducatif, au moins dans notre ministère, pour nos enseignants et surtout nos élèves, l’évènement éducatif majeur du début du 21ème siècle. C’est peut-être le seul qui apporte véritablement une pierre nouvelle à la construction d’une école plus juste. Et d’entrée de jeu, avant même de parler du socle, je voudrais simplement vous rappeler que la fonction du socle est d’apporter plus de justice scolaire. Il n’a que cette ambition. Vous allez me dire que c’est déjà essentiel, c’est l’ambition majeure de notre école. Alors, mon exposé qui va être obligatoirement un peu synthétique, je vais l’organiser en 3 points, c’est une vieille tradition, il n’y a rien à faire, on n’en sort pas, mais 3 points très simples :

Je commencerai par essayer de vous montrer ce dont il s’agit. Et le socle, c’est quoi ? Ce sera assez rapide. Ce qui sera peut-être un petit peu plus long parce que plus important à mes yeux, c’est pourquoi, pourquoi on en est venu dans notre système éducatif français à vouloir définir un socle commun de connaissances et de compétences.

Et enfin, quelques éléments qui seront surtout complétés par Roger Vrand sur le comment. Une fois qu’on a ce socle commun, qu’est-ce qu’on en fait et qu’est-ce que cela en porte, qu’est-ce que cela signifie à l’intérieur du système éducatif mais là beaucoup plus largement pour tout honnête homme qui veut participer de l’éducation d’une jeunesse.

Quelques mots : c’est quoi le socle commun ?

Rappel tout simplement règlementaire : le socle commun c’est un élément central de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école (2005). C’est déjà considérable. Dans une loi d’orientation, on consacre 3 articles de loi à définir quelque chose de nouveau. Je vous rappelle que nos programmes d’enseignement qui pour les enseignants, je sais que vous êtes nombreux dans cette salle à l’être, l’avoir été et j’espère à souhaiter le devenir, les programmes, c’est une définition règlementaire très fragile, puisqu’en réalité, ce n’est qu’une annexe d’un arrêté. Il n’y a pas besoin de passer devant le parlement, juste devant le Conseil supérieur de l’Education Nationale qui donne un avis. C’est-à-dire que ce n’est pas grand-chose un programme. Par contre le socle, c’est une loi d’orientation, les gouvernements en font rarement une à moins de 15-20 ans d’intervalle, donc c’est quelque chose qui s’inscrit dans le marbre, dans la solidité. Et 3 articles de loi y sont consacrés ! Alors, je ne vais pas vous les réciter par cœur, ce n’est pas du tout mon objectif, mais simplement vous rappeler de ces 3 articles, 2 éléments importants. D’une part, c’est un engagement du système éducatif, non pas à ce que tous les élèves maîtrisent le socle, malheureusement le législateur n’a pas le pouvoir d’obliger tous les élèves à maîtriser quoi que ce soit, mais par contre le législateur oblige le système éducatif à tout mettre en œuvre pour que tous les élèves le maîtrisent. C’est donc devenu la priorité de la scolarité obligatoire. C’est véritablement que tous les efforts du système éducatif, et plus largement des éducateurs, devraient converger vers la maîtrise d’un socle commun de connaissances et de compétences, par tous les élèves, c’est-à-dire par chaque élève. Et là, c’est un engagement qui est très nouveau : vous pouvez chercher dans notre arsenal législatif, jamais la loi n’a demandé à ce que tout soit mis en œuvre à ce que tous les programmes soient maîtrisés par les élèves. Les programmes étaient vaguement validés par des examens, très vaguement parce qu’il a un gros écart entre examen et programme, mais jamais on est allé aussi loin. La loi va encore plus loin parce qu’elle donne une idée du comment il faut faire : c’est un programme personnalisé de réussite éducative.

Deuxième grande innovation inscrite dans la loi : après plus d’un siècle et demi de système éducatif qui était surtout marqué par le collectif, on visait un élève moyen d’ailleurs qu’on n’a jamais rencontré, maintenant on essaie de se préoccuper du besoin plus individualisé de chaque élève et on reconnait que dans une classe qui est toujours- pour moi, malheureusement – d’une classe d’âge. Dans une classe d’âge, il y a des besoins différents d’élèves et le système éducatif doit se préoccuper de l’individu-élève dans un cadre collectif, c’est-à-dire sans négliger tout ce que le collectif peut apporter.

Donc une loi qui est très contraignante. Vous évoquiez la judiciarisation de notre société, une loi c’est opposable et un parent d’élève peut très bien demander à un juge administratif s’il est bien tout à fait normal que le « petit Paul » n’ait pas bénéficié d’un PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative) alors qu’on lui a fait doubler une classe et qu’en fin de parcours il ne maîtrise pas le socle. C’est vraiment quelque chose de très fort.

Deuxième élément de «c’est quoi»?, cela se compose de quoi cette entité «socle commun des connaissances et des compétences » ? Et là aussi, quelque chose de nouveau en France, véritablement en France, de nouveau parce que pour une fois, pas vraiment le législateur malheureusement, mais au moins les experts autour du législateur, ont tenté de définir ce que pouvait être une définition contemporaine de ce que nul ne doit ignorer. Et c’est quelque chose qui a mis un temps considérable à se mettre en place en France puisque l’idée même de définir ce que nul ne peut ignorer date bien sûr (on peut remonter à Condorcet) c’est vraiment l’esprit des lumières qui reste, mais qui a été repris en son temps par Jules Ferry qui avait sa définition de ce que nul ne doit ignorer – simplement, si j’ai un reproche à adresser à Jules Ferry, il l’a plutôt bien défini, c’est qu’il n’est jamais parvenu à le faire maîtriser par toute une classe d’âge. Je vous rappelle qu’à la veille de la 2ème guerre mondiale, 40% des élèves n’atteignaient pas ce qui était censé qualifier cette culture : le certificat d’études primaires. Il faut l’avoir en tête. On est loin d’un idéal de toute une classe d’âge maîtrisant une culture commune.

Donc là, il y a ce pari un peu fou de définir ce que nul ne doit ignorer, et un pari où la France est un élément d’un système international, puisque bien entendu, cette idée de socle commun prend des noms différents selon les pays, et en France cela a été assez long de faire admettre le mot « commun ». Le mot « commun » vient bien de racines de penseurs, de sociologues, d’historiens de l’éducation. Vous avez cité le sociologue- historien de l’éducation, je pense à Claude Lelièvre en particulier, et c’est bien de définir une culture commune qui transcende totalement les clivages politiques puisque, à ma connaissance, le premier Président de la République, d’après la 2ème guerre mondiale, à en avoir parlé, c’est Valéry Giscard d’Estaing. Ce qui était tout à fait logique après l’allongement de la scolarité obligatoire, après la mise en place du collège unique. Se demander, mais ce collège unique, il va apporter quoi aux élèves, de commun à tous les élèves ? Vous voyez que le temps pour le définir, et aujourd’hui, cette définition, qui comme toute définition, souffre certainement d’un tas d’imperfections, ce qui est tout à fait normal, mais fondamentalement, il y a bien quelque chose de tout à fait nouveau.

Alors je ne vais pas vous redonner tout le contenu du socle commun, mais simplement, vous montrer par quelques exemples que nous sommes à la fois dans une définition française, nous sommes bien dans une culture française, mais une culture française qui s’ancre dans une culture européenne, voire au-delà des pays de l’OCDE. La définition du socle qui a pour origine la loi d’orientation, mais qui a un an après le décret d’application qui défini le socle, l’organise en 7 compétences. Alors déjà, le vocabulaire employé n’est pas un vocabulaire franco-français. Mon voisin, professeur de sciences de l’éducation le sait bien, entre les définitions des compétences telles qu’elles étaient admises par la communauté scientifique et la communauté enseignante en France, il y a là une nouvelle définition à accepter. La compétence est autour de l’idée des compétences clés de l’Union Européennes, ce sont des grandes compétences : la maîtrise de langue française, la communication dans la langue maternelle (la nuance est importante), la pratique d’une langue vivante étrangère, la communication dans une langue vivante étrangère, des éléments de mathématique, une culture scientifique. Tout cela est très proche avec quand même des différences sur lesquelles il nous faut nous interroger pour justement les mettre le mieux possible en œuvre.

Chez nos voisins européens, on parle d’esprit d’entreprise. On parle de compétences interpersonnelles, interculturelles, de compétences sociales et civiques, de sensibilité culturelle. Notre socle n’a pas traduit mais a adapté à la mentalité française ces compétences en ayant une compétence qui s’appelle «l’autonomie et l’initiative». J’ai envie de dire qu’on retrouve des éléments bien sûr de l’esprit d’entreprise dans « l’autonomie et l’initiative », mais c’est plus proche du raisonnement et de la sensibilité française. Je me souviens de débats : à un moment donné mettre « esprit d’entreprise » cela heurtait beaucoup trop en France. La polysémie du terme « entreprise » est impossible dans notre système éducatif, donc ce n’était pas la peine. Les « compétences sociales et civiques », vous retrouvez ces compétences interpersonnelles, interculturelles mais, honnêtement, Bruxelles les définit d’une manière plus fine, plus précise que nous. On a surement encore à progresser. Et puis, il y a quelque chose de tout à fait particulier à notre pays : la sensibilité culturelle qui est pour les compétences clés, véritablement une question de compétence de la sensibilité, est devenue la culture humaniste. La culture humaniste est une spécificité française, nous sommes le seul pays à avoir osé mettre dans un socle commun de connaissances et de compétences, la culture humaniste. Et je vous garantis que ce n’est pas facile d’imaginer comment valider une culture humaniste. C’est une des plus difficiles avec celles bien sûr où nous avons besoin de vous, les Eclés : « les compétences sociales et civiques » et « l’autonomie et l’initiative »

Le pourquoi du socle ?

Pourquoi avoir voulu inscrire dans la loi un socle commun des connaissances et des compétences ? Alors que la France dispose d’un ensemble de programmes d’enseignement. Alors d’abord, très clairement, premier élément qui n’est pas factuel, qui est important, le programme est la feuille de route pour l’enseignant. Il n’engage que l’enseignant, ce qui n’est déjà pas mal, mais il n’engage pas ce que l’élève doit savoir. Et toutes les mesures que nous avons faites, notre direction aujourd’hui, «l’évaluation, la prospective et de la performance » et avant elle la direction « l’évaluation et la prospective » montrent qu’il y a un écart considérable entre ce que les élèves savent et ce que les enseignants enseignent. Simplement, cet écart est pour le moins aléatoire, c’est-à-dire dépendait de l’avancée dans les programmes, dépendait d’un tas de facteurs qu’on peut juger un peu trop aléatoires pour permettre à l’ensemble d’une classe d’âge d’avoir une culture commune. Donc premier élément, mais ce n’est pas l’essentiel.

Deuxième constat, la France n’avait pas réussi à dépasser la dualité de sa scolarité obligatoire. Nous sommes un des rares pays comparables dans l’Union Européenne ou de l’OCDE, à avoir une césure profonde au cœur de la scolarité obligatoire. Ailleurs cela s’appelle école moyenne, école fondamentale, il y a un parcours d’élève cohérent, construit entre ce qui chez nous est l’école primaire et le collège. En France on n’a pas réussi pour des tas de raisons historiques que je n’ai pas le temps d’évoquer ici, et nous avons maintenu 2 corps enseignants, même si leur étiquette s’appelle « professeur des écoles, de collège et de lycée ». Les modalités de recrutement et de formation sont encore très profondément différentes. Donc 2 corps enseignants : les uns, pour être caricatural, recrutés d’abord sur une compétence dans une discipline, les autres recrutés sur une compétence plus pédagogique, éducative et dans le cadre de la polyvalence. Et puis tout le reste suit, n’a pas bougé, des unités d’enseignement qui sont radicalement différentes : des écoles primaires qui sont des unités d’enseignement, qui ont un statut juridique pour le moins inexistant et à côté des collèges qui sont des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) dont on mesure bien à la fois le statut et les possibilités qu’offrent ce statut. Des corps d’inspection qui sont différents. On pourrait multiplier les exemples. Or, le fait d’avoir inscrit dans la loi un objectif commun pour tous les élèves, rapproche nécessairement ces deux unités et commence à forger véritablement en France une école moyenne. En tous cas, une école de la scolarité obligatoire, qu’on appelle souvent aujourd’hui « école du socle », qui est véritablement construite autour d’un parcours d’élève avec un objectif qui est la maîtrise de ce qui est indispensable.

Enfin la troisième raison du pourquoi, et la plus importante, c’est que depuis la loi d’orientation de 1989, et même un peu avant, les multiples dispositifs, organisations qui avaient pour ambition de réduire l’échec scolaire, de réduire la fracture scolaire – vous pouvez changer le vocabulaire que vous voudrez, la réalité est toujours là – ces multiples initiatives, ces politiques, ces organisations, ne sont pas parvenues aux résultats espérés. Et, dans ma bouche, cela ne veut pas dire qu’elles ont échoués. Je suis incapable de dire, et aucun chercheur ne peut l’affirmer, si sans les ZEP mis en place en 1982, la situation aurait été meilleure ou pire. Je pense que ça aurait été encore pire. Mais il se trouve que malgré tout, l’éducation prioritaire n’a pas permis véritablement de réduire considérablement l’écart, parce que tout simplement les conditions économiques et sociales sont telles qu’elles se sont encore plus élargies. Ces politiques n’ont pas abouti au résultat, comme à l’intérieur de chaque établissement, de chaque école, de chaque collège, les multiples dispositifs qui ont été mis en place, les parcours diversifiés, ont eu des avancées pédagogiques mais n’ont pas eu de résultats véritablement mesurables. Donc l’idée n’est pas d’abandonner ces politiques, mais simplement de rappeler et de définir que toutes ces politiques ont un objectif : de permettre à toute une classe d’âge d’arriver à maîtriser une culture commune. Pour citer Dubet, après cette culture commune, si un système éducatif de service public arrive à cet objectif, il peut se permettre effectivement de diversifier ce qu’il appelle « la distillation fractionnée » mais après. Jusqu’à la scolarité obligatoire l’objectif, c’est tous les élèves, chaque élève. Après on accepte que dans une société dont les besoins sont différents, de diversifier : on ne va pas fabriquer 800 000 médecins par an, cela n’aurait strictement aucun sens. Mais le point de départ incontournable, pour tout le monde, cette culture commune.

Le comment

Quelques mots sur le comment mettre en œuvre autour d’un élément qui a mes yeux est essentiel, et qui choque beaucoup dans notre milieu :

Si l’on veut effectivement que toute une classe d’âge maîtrise quelque chose, il faut que l’école soit capable de le prouver. Or nous savons très bien que la preuve par les examens n’est pas une vraie preuve. C’est un autre dispositif. Il faut effectivement que nous soyons capables de prouver que tous les élèves (ou pas tous) maîtrisent ce socle. Donc la maîtrise du socle commun des connaissances et des compétences requiert nécessairement un dispositif d’évaluation des acquis des élèves. C’est consubstantiel du socle. C’est consubstantiel à tous les niveaux du système éducatif. Le nôtre, Roger (rand et moi, le niveau national, parce qu’à un moment donné, l’école représenté par son ministre est redevable devant la nation de l’annonce de ses résultats. Je me souviens d’un temps où la direction, qui n’était pas encore DGESCO mais direction des lycées et collèges, peu importe le terme, rendait compte au parlement de l’emploi des personnels qui lui étaient alloués par les moyens. C’est-à̀-dire que dans les grands cahiers (j’en ai conservé́ quelques-uns comme historien) donnaient l’usage qui était fait des 278 000 certifiés. Très bien, on savait où ils étaient affectés. Mais aujourd’hui, les parlements, le nôtre et tous les parlements, demandent beaucoup plus. Ils demandent ce que cela produit, d’une manière très noble : en quoi cela permet effectivement aux élèves de réussir. Et pour la scolarité́ obligatoire, effectivement, est-ce que nous arriverons à̀ 100% des élèves maîtrisant le socle. La question de l’évaluation est consubstantielle du socle. Alors elle en porte 2 conséquences pour l’organisation du système éducatif, celui de la mise en place d’un livret personnel de compétences, celui qui est à̀ l’interne, un livret plus large dont Roger Vrand vous parlera mais dont le principe est le même. C’est simplement le collecteur d’évaluations qui sont faites et qui rend compte, d’abord à̀ l’élève, à sa famille, puis plus largement à̀ la communauté́ éducative des résultats. Mais au-delà̀ de ce livret personnel qui est expérimental d’un côté́, très honnêtement en cours de mise en œuvre de l’autre, rien n’est encore totalement gravé dans le marbre, c’est quelque chose de très lourd, cela repose sur un principe d’évaluation qui est tout à̀ fait nouveau et qui heurte notre mentalité́ française très profondément. Ce qui explique la résistance à la mise en œuvre du LPC, la résistance au socle. Le principe est tout simple, il oppose notre système de notation traditionnelle qui a pour fonction très noble de trier les élèves, de les classer – je n’imagine pas un concours sans notation, on met des notes pour classer – à l’autre ambition qui est de dire « je m’en fiche de classer les élèves », ce que je veux c’est pouvoir attester qu’ils maîtrisent. Et ce côté́ choquant pour les intellectuels que nous sommes, la maîtrise est binaire : je maîtrise ou je ne maîtrise pas. Je ne maîtrise pas à̀ peu près ou je maitriserai demain, aujourd’hui, dans les conditions d’évaluation qui sont miennes, je maîtrise ou je ne maîtrise pas.

Si je prends un exemple trivial, très premier degré́, mais c’est les plus parlants, les linguistes me disent qu’il y a un certain nombre de mots du vocabulaire courant qui doivent être orthographiés correctement par les élèves. Capacité d’écrit. Les linguistes connaissent, il y a des listes de mots. Et moi, quand je prépare une évaluation nationale, je prends une dictée très classique où n’importe quel autre exercice, peu importe, qui comprend 64 mots. Et je me dis, voilà̀, il y en a 10 que les linguistes me disent devoir être maîtrisés par les élèves. Valider la capacité d’écriture orthographique du socle, c’est dire que les 10 sont maîtrisés et il m’est totalement indifférent pour valider que ce soit 8 ou 6. Mais moi, pédagogue, je sais que le gamin qui en a écrit 6 correctement, j’aurai moins de travail à faire avec lui de remédiation qu’avec celui qui n’en aura orthographié que 2. Mais mon objectif, c’est le sans faute qui qualifie bien le fait que ces mots simples sont maîtrisés. Ce qui ne veut pas dire que la dictée soit sans faute, parce qu’il y a les 54 autres mots. Mais c’est bien ce côté binaire qui heurte encore aujourd’hui. Mais pour conclure simplement en 2 mots, je crois que si nous arrivons, et tous ensemble, parce qu’il y a des compétences où tout ne se fait pas en classe. « L’autonomie et l’initiative » mais si je prends la toute classique, la maîtrise des techniques usuelles d’information et de communication, nous savons très bien que pour 2/3 de nos élèves, l’essentiel est acquis en dehors de l’école. Simplement, il faut que l’école s’assure bien que pour le 1/3, ce soit maîtrisé aussi. Si véritablement, cet enjeu d’amener une classe d’âge complète à une culture commune doit être réussie, il faut en accepter les conséquences, c’est-à-dire fournir des situations d’enseignement et en évaluer sans arrêt la maîtrise.

 

Thierry PIOT

Merci Philippe Claus. C’était important qu’on puisse avoir une des personnes qui était à la genèse de ce socle commun des connaissances et des compétences, un petit peu l’arrière plan. Quand on prend juste le document et qu’on n’en a pas l’histoire, la construction qui est donc au niveau européen et qui s’inscrit dans un horizon qui est bien plus large que sur les soubresauts politiques à court terme, j’insiste bien sur cette dimension là. On est sur une nouveauté qui concerne la loi d’orientation 2005 et qui inscrit l’école sur un temps long. En même temps, quand on observe la mise en œuvre des grandes réformes de l’école au cours du 20ème siècle, on s’aperçoit qu’il faut une génération avant qu’il ait eu une naturalisation, si je peux me permettre, de l’esprit de telle ou telle loi : la scolarité à 16 ans, la fin du certificat d’études, etc. Le fait d’avoir une école unique, l’idée date de 1922, le nom de Paul Langevin a été évoqué ce matin, et on peut dire que l’école unique s’est réalisée en 1975 avec la loi Haby pour les collèges. Vous voyez bien dans le temps long dans lequel on s’inscrit, cela veut dire aussi qu’il ne faut pas se décourager. On est collectivement des défricheurs d’une grande et belle idée, celle d’une école encore plus juste et encore plus démocratique. On s’est aperçu qu’il n’a pas suffi de permettre à chacune et chacun d’avoir une scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans (actuellement, c’est 19 ans le temps de scolarité effectif moyen en France), comparable aux grands pays de l’OCDE. Les Éclaireuses, Éclaireurs de France peuvent s’inscrire dans un horizon qui nous dépasse tous.

Alors qu’on ait un horizon généreux, qu’on comprenne bien la genèse et la finalité́ du socle commun des connaissances et des compétences est une chose, maintenant quid de sa mise en place ? Que met en place l’école comme dispositif ? Peut-elle et sait-elle le faire seule ? Voilà̀ les questions qu’on va défricher à travers des expérimentations, des descriptions de dispositifs tant intra Éducation Nationale avec Roger Vrand qu’au niveau des Éclaireuses, Éclaireurs de France avec Vincent Cocquebert.

 

Roger VRAND

Je vais m’efforcer de prolonger les réflexions de Philippe Claus du point de vue des dossiers qui sont les miens dans la sous-direction dont j’ai la charge, vous l’avez dit, sous-direction de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives. Ce qui correspond pour dire les choses à la fois schématiquement et aussi simplement que possible, à une sous-direction qui s’occupe de ce qui ne se passe pas nécessairement dans la classe, dans la relation décrite par Philippe, entre l’enseignant et les élèves, mais aussi plus largement, dans l’établissement scolaire ce qui recouvre les écoles, les collèges et le lycée et dans les relations que ces établissements scolaires ont avec leur environnement, leur territoire, et les partenaires.

Ce d’où je voudrais repartir à la suite de cette défense et illustration du socle que tu viens de nous proposer, c’est redire que l’école a une mission de transmission des savoirs et je crois qu’ils sont tombés dans des débats de puristes, ces savoirs pourraient correspondre à ce qui vient d’être présenté sous les appellations de connaissances et de compétences, mais que l’école a aussi un rôle, une fonction éminente de transmission des valeurs, un certain nombre de valeurs sont d’ailleurs dans les savoirs. Les choses ne sont pas cloisonnées, ne sont pas juxtaposées, mais il faut bien avoir à l’esprit cette approche d’ensemble. Sur ce plan, bien sûr, la France, et spécifiquement l’école française, a des traditions très fortes. On a tous en mémoire, dans l’imaginaire collectif, l’instituteur du début du 20ème siècle qui écrivait chaque jour une maxime sur le tableau noir et la commentait pour ses élèves, et c’est cette mission, cette transmission de valeurs que l’école doit la prendre en charge en complémentarité évidemment avec les familles. Le fait est que pour des raisons très complexes sur lesquels je me garderai bien de m’attarder, on a pu constater durant ces dernières années, peut-être ces dernières décennies, un certain déclin dans l’exercice de ces missions et qu’il revient à l’école de les revivifier et de les perpétuer et de leur redonner du sens comme l’on dit et de la vigueur à ce qui est inscrit sur le fronton des écoles républicaines : « liberté, égalité, fraternité » et à quoi on peut ajouter bien entendu au moins une autre valeur qui est celle de la laïcité.

Alors je crois que ce qu’a dit Philippe Claus, c’est vraiment qu’une des fonctions, un des objectifs, des mérites du socle commun, c’est aussi de concourir à cet objectif et à cette démarche et à d’autres qu’il a fort bien développées et sur lesquelles je ne reviens pas, et pour ma part, je voudrais notamment insister sur l’importance d’avoir mis, inscrit dans ce socle commun des connaissances et des compétences tous les piliers, mais je voudrais citer plus particulièrement, outre le pilier 5 qui a été évoqué, la culture humaniste, les piliers 6 et 7, compétences sociales et civiques et l’autonomie et l’initiative, car ces piliers sont vraiment ceux sur lesquels convergent ces objectifs d’apprentissage du devenir citoyen, de l’apprentissage des règles de la vie collective, mais aussi d’un apprentissage qui doit se faire d’une façon active, d’une façon audacieuse avec des modalités d’engagement dans la vie, d’abord dans la vie de l’établissement, au delà dans la vie de la cité. Un certain nombre des forces de politiques éducatives qui sont mises en place visent bien à revivifier ces démarches. C’est le cas notamment dans le cadre de la réforme du lycée.

La réforme du lycée, et vous le savez peut-être est là depuis 2 ans en train de se mettre en place. Un des aspects importants de la réforme du lycée, outre les aspects proprement pédagogiques, et de rééquilibrages des filières, d’enseignement, c’est aussi de faire ne sorte qu’il y ait une véritable vie lycéenne, une participation des jeunes qui sont lycéens entre 15 et 18 ans, sans parler des classes post- baccalauréat qui leur permettent de faire de leur établissement, pas simplement un lieu dans lesquels ils viennent assister à des enseignements de façon plus ou moins active, mais aussi des lieux de vie dans lesquels ils peuvent prendre des initiatives et cela notamment avec le renforcement du rôle de l’importance des conseils de la vie lycéenne. Un lycéen est au sein de chaque établissement le vice- président. Donc, vous voyez bien dans cette démarche, de mettre en place véritablement des outils qui permettent la participation des jeunes.

Je citerai aussi l’effort entrepris actuellement pour redonner du sens à la maison des lycéens. Vous savez sans doute que depuis de nombreuses années, il est prévu que des maisons de lycéens, c’est-à-dire des foyers mais dont les lycéens seraient les responsables au sens associatif du terme, existent dans les lycées. Il est vrai que cette évolution tarde à se mettre en place et que les antérieurs et précédents foyers socio- éducatifs des lycées dans un certain nombre de cas continuent d’exister. Récemment, a été prise une décision en matière d’abaissement de la majorité associative de 18 à 16 ans qui doit, on l’espère et on va travailler dans ce sens, être un levier pour permettre de développer maintenant ces maisons de lycéens, c’est-à-dire que des lycéens puissent vraiment s’engager dans la durée puisque 16 ans c’est grosso-modo l’âge que l’on atteint selon les cas en classe de seconde ou de première, ce qui permet à un lycéen d’avoir au moins 2 ans pour avoir des responsabilités et s’investir dans de vrais responsabilités associatives au sein de son établissement. Ce qui ne veut pas dire, bien évidemment que les adultes autour vont se désengager, mais ils vont au contraire être là pour les accompagner dans cette prise d’initiative.

J’ai pris cet exemple là, on pourrait en prendre d’autres. Je voulais indiquer qu’il y a vraiment une ligne de force pour faire en sorte que cette dimension de vie sociale et civique, d’engagement, se développe dans ce système éducatif français. Et il est vrai que si on le compare avec d’autres, notamment européens est très marqué par l’importance, la prégnance du volet académique au sens des enseignements, des apprentissages alors que l’on sait que dans d’autres systèmes, la part proprement éducative, je pense notamment aux « communities services » qui peuvent exister dans la culture des établissements anglo- saxons. Toute cette dimension là est bien mieux mise en valeur. Et puis, il faut aussi penser aux élèves, écoliers, collégiens, lycéens, dans leur diversité. On sait bien que de ce point de vue-là, le système éducatif n’est pas sans rencontrer des difficultés. Les questions de vie scolaire comme on dit, de vie des établissements existent. Et bien évidemment, la première chose à faire, c’est de les regarder en face. Donc que faire pour ces élèves, bien souvent ce sont des collégiens, c’est à l’âge du collège que ces difficultés apparaissent dont force est de constater qu’ils n’ont pas compris les règles du vivre ensemble, la nécessité des règles dans la vie sociale et qui sont sur le point de gâcher, sinon définitivement, du moins gravement, peut-être durablement leurs chances pour entrer dans la vie sociale et dans la vie civile. Là aussi, il faut

engager un certain nombre d’efforts, je pense notamment à ce qui devrait se mettre en place dès que les derniers textes nécessaires pour ce faire seront publiés. Ce sont ce que nous avons appelé des mesures de responsabilisation qui sont en fait des activités de différentes natures éducatives, manuelles qui seront proposées ou qui sont déjà proposées à l’intérieur des établissements à des élèves sanctionnés et ce pour éviter notamment que la seule façon de traiter ce problème, le seul recours pour les établissements, ce soit d’exclure les élèves. Ce qui est la plus mauvaise des solutions. Sur un sujet comme celui là, je profite de la tribune qui m’est offerte : bien évidemment l’école ne peut pas et ne prétend pas agir toute seule. Il lui faut agir en partenariat. Il y a déjà un certain nombre de partenariats de conventions sur ce sujet d’ailleurs, des mesures de responsabilisation qui ont été signés, qui sont en train de se mettre en place. C’est un appel à la réflexion commune que je lance ici au passage pour réfléchir aux bonnes manières de rappeler à ce type de public scolaire : comment il faut bien comprendre les règles de la vie collective.

Pour poursuivre, je voudrais souligner justement, l’importance sur ces champs là, sur ces lignes de force là, du partenariat. J’ai dans ma sous-direction, et plusieurs d’entre vous en connaissent les chemins, un bureau qui est dirigé par Anna Laurent, bureau des actions éducatives culturelles et sportives, c’est vraiment le bureau du partenariat associatif. C’est un bureau qui consacre probablement 90% de son temps aux questions d’actions éducatives, de démarches éducatives conduites non pas tout seul avec les forces propres importantes, certes – Philippe Claus rappelait les bataillons d’enseignants qui sont les nôtres en dépit de toutes les évolutions- mais sur des sujets comme celui-ci, évidemment, nous avons besoin de créer des synergies avec les associations. Je voudrais évoquer par exemple, la publication que nous faisons annuellement, ce que nous appelons « les actions éducatives ». Chaque année, est publié au bulletin officiel de l’Education Nationale la liste non exhaustive d’ailleurs, des plus importantes actions éducatives pour lesquelles le ministère invite les établissements à une mise en place d’un relais. Cela porte sur des champs très divers : l’éducation à la citoyenneté, l’éducation mémorielle où l’on retrouve l’importance de la transmission, l’éducation à la responsabilisation et à la solidarité. Je suis convaincu que sur ces sujets, un mouvement comme le vôtre a toute sa place.

Dans le cadre du socle commun, détaillé à l’instant, il est prévu que, à la fin de la scolarité fondamentale, les élèves aient acquis le brevet informatique et internet (le BII ou B2I), les 2 attestations de sécurité routière (les ASSR), qui doivent les préparer plus tard à obtenir le permis et, peut-être d’ailleurs que dans les temps à venir, l’école sera encore plus impliquée dans l’obtention du permis de conduire, au moins du code de la route. Et aussi la formation aux premiers secours, c’est vraiment un élément de solidarité, chose que nous faisons, avec encore devant nous, pour dire les choses pudiquement, une grande marge de progression, mais dont nous savons à quel point, c’est une priorité qui nous incombe et là encore nous avons besoin d’une synergie de force pour les mener à bien. Alors, y compris au niveau de l’administration centrale, nous sommes déjà orientés vers l’extérieur, vers les partenaires. Que dire alors au niveau local, et en particulier au niveau des établissements scolaires. Ce que je voulais vous dire, c’est qu’il faut vraiment considérer les établissements scolaires comme des lieux ouverts sur leur environnement, sur leur territoire. Il faut le prendre ainsi et il faut aller à leur devant et vous devez avoir du répondant pour permettre la mise en place du volet éducatif des projets d’établissements qui de plus en plus constituent un élément tout à fait décisif de ces projets et de cette dynamique. Je pense que nous devons être mutuellement proactifs. L’Education Nationale doit être proactive pour faire progresser l’apprentissage de ses valeurs, de ses objectifs et rencontrer de votre côté une pro activité. Ainsi les deux forces convergeront.

Si j’ai encore deux minutes, je terminerais en vous donnant quelques indications parce qu’on m’a dit qu’il y avait une attente sur ce point là, et c’est un exemple qui vient confirmer ce que je viens de dire. Sur la mise en place à titre expérimental depuis 2009, dans 166 établissements, 140 de l’Education Nationale et 26

autres du ministère de l’Agriculture, la mise en place d’un livret, expérimental à ce jour, expérimentation qui doit se poursuivre jusqu’à la fin de l’année scolaire 2011-2012, avec ensuite un rapport au parlement à la fin de l’année 2012. Donc, mise en place d’un livret de compétences au service d’une orientation positive des jeunes. C’est quelque chose qui avait été prévue par la loi de 2009 sur l’orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie, et donc l’Education Nationale s’est impliquée pour constituer cet outil, qui doit permettre de valoriser l’ensemble des compétences qu’un jeune peut acquérir durant son cursus aussi bien dans le cadre scolaire de l’éducation formelle, que dans le cadre extrascolaire. Et, c’est un outil- je n’entrerai pas dans les détails-qui est conçu de façon à ce que les différents partenaires, les différents protagonistes puissent effectivement participer à son élaboration et à sa constitution. Première des choses, c’est qu’il est alimenté, qu’il est élaboré, qu’il est rempli par l’élève lui-même qui peut y mettre ainsi à la fois tout ce qu’il acquiert comme qualification du point de vue scolaire mais aussi des engagements associatifs, du bénévolat. Il est accompagné en cela par une équipe autour de lui au sein de l’établissement, et c’est un outil qui par la forme d’application informatique qu’il a puisqu’il a un web- classeur qui sert de support à la mise en place de cet outil, peut être aussi renseigné par les partenaires associatifs à partir du moment, évidemment où cela a été conventionné avec le chef d’établissement, qui peuvent apporter donc leur contribution à la construction de l’édifice du parcours du jeune.

Voilà pour évoquer rapidement quelques exemples et quelques lignes de force de la façon dont nous nous efforçons de mettre au cœur de note action, la dimension éducative.

 

Thierry PIOT

Merci beaucoup Monsieur Vrand, je me félicite que c’est dans cette belle salle de l’UNESCO que l’Education Nationale fasse un appel comme j’en ai rarement entendu vers le monde associatif et que ce soit une adresse faite aux Eclaireuses, Eclaireurs de France. L’école, parce que je le sais, ayant pas mal de contacts au niveau des « Eclés », l’école a la réputation d’être une grosse institution qui éventuellement fait un petit peu peur, elle fait ici un appel qui indique clairement qu’elle ne peut pas tout faire toute seule, elle n’a pas cette prétention. Et que dans le socle même, socle commun des connaissances et des compétences, l’école a prévu de s’associer à des partenaires pour faire vivre les compétences les plus transversales qui ne peuvent s’acquérir uniquement dans l’enceinte scolaire.

Etant donné que le temps passe vite, je vais me couper la parole d’un certain nombre de remarques que je souhaitais faire. Je dis simplement qu’ont été évoqués des éléments comme le socle commun des connaissances et de compétences, comme le livret. Je pense qu’on pourra faire passer les liens internet qui permettent de télécharger ces documents que vous puissiez en prendre connaissance à tête reposée parce que voilà deux documents avec lesquels les « Eclés » doivent travailler dans les années à venir. Maintenant les Eclés ont déjà une expertise, les Eclés ont déjà un savoir-faire. Vincent Cocquebert va présenter un petit peu un certain nombre d’éléments de réussite qui existent et puis on essaiera de voir comment ces éléments peuvent être formalisés, validés, dans la logique aussi de reddition de comptes. Il y a 4 ans, Philippe Meirieu et Claude Lessard, collègue d’une chaire des sciences de l’éducation à l’université de Montréal, ont rédigé un livre qui s’appelle « la reddition de comptes en éducation » qui indique bien qu’aujourd’hui, on est dans cette logique, mais qui n’est pas que dans le monde éducatif, ce qu’on appelle l’évaluation par les « output » par les sorties, c’est-à-dire, il ne suffit pas de mettre des moyens, il va falloir sortir d’un dispositif, regarder ce qu’on a produit parce qu’on ne peut plus se permettre de mettre de l’énergie et des moyens financiers sans vérifier une certaine efficacité entre ce qu’on veut faire avec les ressources qu’on met et ce qu’elles produisent in fine. Voilà cette logique de reddition de comptes ne concerne pas simplement le monde éducatif et ne concerne pas simplement la logique franco-française. C’est quelque chose qui amène plus de rationalité dans un monde qui était peut-être trop idéologisé, ensuite l’excès de rationalité, quand il vient du rationalisme, n’est pas forcément non plus la seule voie possible.

 

Vincent COCQUEBERT

Bonjour à tous. Quelle responsabilité que de valoriser tout d’un coup le scoutisme, à côté de ce qu’est cette grosse machine qu’est l’Education Nationale !

Cela fait deux ans que je les côtoie, et c’est vrai que ce qui m’a surpris le plus, au sens où je ne m’y attendais pas, c’est l’écoute qu’Anna Laurent que vous citiez, mon interlocuteur à la DEGESCO, avait de notre travail. L’écoute, mais également la méconnaissance. Cela veut dire que nous-mêmes, avons un travail de communication envers vous pour mieux valoriser ce que l’on fait, et c’est seulement comme cela qu’on ne sera pas l’un vers l’autre, mais l’autre vers l’un aussi, complémentaires, parce qu’on doit l’être l’un par rapport à l’autre, et donc, pas seulement dans un seul sens.

Avant de présenter effectivement quelques actions qu’on souhaitait commenter aujourd’hui, je voudrais revenir sur ce qui a été dit, dans le but de valoriser notre pratique éducative et nos réalisations. Tout d’abord, c’est une chose qui va nous différencier : nous, notre corpus, il est simple. Le scoutisme, c’est simple.

Et en plus ça marche plutôt bien quand on arrive à le faire démarrer. Peut-être est-il dur d’amorcer la pompe, pour des tas de raisons, mais une fois que la machine se lance, elle a une puissance infinie et je crois qu’il faut déjà valoriser cette réussite du scoutisme.

Faisons écho effectivement à ce monde qui change, à cette érosion, à cette difficulté, ce désenchantement, la question des appareils qui viennent d’être évoqués.

Le système : il n’est pas difficile pour nous de comprendre pourquoi, on a peut-être été précurseur sur certains points, puisque, nous très vite, on a mis en place, non pas une réflexion sur le système, du fait de l’érosion du système, mais sur l’acteur qui a toute sa place pour faire vivre le système, et pas dans l’autre sens où le système ferait vivre l’acteur. Acteur, ça veut dire action. Le scoutisme se caractérise par l’action. Acteur, action et aussi agir. Agir sur soi-même, mais aussi agir avec les autres et agir avec son environnement. Ce sont des clefs toutes simples, je reviens sur ce terme de « simple », mais elles caractérisent bien ce que l’on fait.

Désenchantement, la désespérance même : nous, ce n’est pas très compliqué d’y croire, puisque c’est nous qui créons nos projets, c’est nous qui créons nos aventures. Donc, il est plus facile de croire à quelque chose que l’on porte, que l’on crée collectivement, qu’à quelque chose qui nous serait donné de l’extérieur. Oui, dans le scoutisme, on crée son projet. Il n’y a pas d’activités, dès les Lutins (les plus jeunes aux Eclés), il n’y a pas d’activité sans projet et sans une direction que l’on choisit collectivement. L’aventure, c’est cela aussi qui nous caractérise, et l’aventure, cela veut dire qu’on ne sait pas où on va. On ne sait pas où on va, ça veut dire aussi la prise de risque ! Nos activités, et notamment l’été lors des camps, se caractérisent par du risque. Non pas du risque inconsidéré, bien évidemment, mais du risque géré, du risque réfléchi, du risque pesé. Voilà ce qui, une nouvelle fois, me fait rebondir en écho à ce qu’on a dit et qui explique aussi pourquoi notre activité fonctionne et, peut-être aujourd’hui où tout est plutôt aseptisé, retrouve un dynamisme.

Aujourd’hui, mais, dès le début ça fonctionne comme ça : quelques lignes d’une définition de Baden Powell : Contribuer…… [dès le premier mot, il y a l’expression qu’on ne sera pas tout seul ! Vous, vous découvrez peut-être plus aujourd’hui que vous avez besoin, vous Education Nationale, excusez-moi de vous mettre dans ce gros chapeau, mais nous dès le début, ce mot « contribuer » arrive. On va contribuer à quelque chose. On n’a pas le monopole de…] Contribuer au développement des jeunes… [on sait où on est, on sait ce qu’on veut faire] en les aidant [aujourd’hui, on dirait en les accompagnant, mais c’est la même idée] pleinement à se réaliser [on l’a évoqué dans le symposium de ce matin : notre objectif c’est de permettre aux gens de se réaliser et il y a mille façons de se réaliser et il y a mille chemins pour se réaliser. A nouveau on revient bien sur les aventures] dans leurs possibilités physiques, intellectuelles, sociales, spirituelles, [j’ajouterai ici le sens de la spiritualité laïque. Donc on a bien ces différents champs d’investigation]

Se réaliser en tant que personne, en tant que sujet, en tant qu’acteur. Mais se réaliser en tant que citoyen, c’est écrit il y a un siècle ! C’est d’une modernité totale que ce mot de scoutisme laïque. Citoyen ! En tant que personne et en tant que membre adhérent, des communautés locales, de groupes, nationales, régionales dans notre culture. Nationales et internationales : nous avons un regard sur le monde dans le scoutisme, c’est un mouvement mondial avec de nombreux rassemblements internationaux, cela fait partie des fondamentaux du scoutisme.

La complémentarité, et c’est peut-être aussi une caractéristique des Eclaireuses, Eclaireurs de France dès leur fondation, c’est la connexion très forte entre l’instituteur et l’éducateur scout. Ce qui a caractérisé la manière dont l’association a démarré, et beaucoup d’entre vous le vive encore, y compris de grands anciens, c’est la connexion du nombre d’enseignants au sein de l’association, comme cadres éducatifs et pédagogiques, comme cadres dirigeants. La connexion entre cette première identité professionnelle et une seconde identité qui va être de continuer par l’acte militant ce rôle d’éducateur dans le temps non scolaire. En d’autres termes, ces enseignants qui avaient la double casquette, qui savaient très bien jouer ces deux rôles (je le pense par hypothèse, je le vois même car certains de nos militants le sont aujourd’hui encore) permettaient de faire par rapport à eux-mêmes une forme de complémentarité éducative. Ils arrivaient bien à jouer de chaque côté et au bout du compte, vers l’enfant, vers le jeune de le faire grandir, de le faire reconnaitre par ce double apprentissage.

Petite anecdote (connais-toi, toi-même) : je me rappelle d’un souvenir personnel qui illustre comment parfois ces deux mondes s’ignorent. J’étais en terminale, en cours de philo. Un bon prof de philo qui sait faire vivre ce qu’est la philo avec ses élèves. Je ne me souviens plus tout à fait du sujet de ce qui s’appelle un exposé, on est sur quelque chose autour du mot éducatif, et je joue mon rôle d’élève qui fait son exposé sur le scoutisme. J’en étais à cette époque. Cela se passe bien, pas de difficultés. Il se trouve que nous avons gardé des liens avec cet enseignant de philo en première année de fac. On revient sur cet exposé et elle me dit : « Ecoute Vincent, jamais je n’aurais imaginé la capacité que tu avais, d’être dans ce rôle là. » Cela veut dire que j’exprimais cet autre savoir, cette autre compétence que j’avais acquise dans le scoutisme. Et évidemment, à ce moment là, en 1977, le livret de compétences dans lequel vous êtes aujourd’hui n’existait même pas ! L’enseignant avait l’intelligence de la voir, mais le système ne la travaillait pas, ne la valorisait pas. Et je suis devant vous aujourd’hui, et tant mieux qu’on soit l’un à côté de l’autre pour y réfléchir, car évidemment, ce que je représente comme exemple de ce double parcours, l’Education Nationale a tout intérêt à s’y intéresser. Je ne serais pas le même élève qu’à cette époque, si c’était dans mon livret de compétences, dans le référentiel du socle de compétences. Et c’est cela qui me parait important de pointer dans cette rencontre aujourd’hui : nous sommes sur ce que nous pratiquons dans le scoutisme, une vision globale de l’enfant et des apprentissages.

Comment est-on repéré par l’Education Nationale ? On est repéré comme des spécialistes du jeu. Pas du jeu pour faire « joujou », pas du jeu pour passer le temps, et encore on pourrait se demander ce que veut dire « passer le temps », « cheminer », mais spécialistes du jeu, sous-entendu de l’« apprentissage par le jeu ». Et cette expertise, ce savoir-faire a même été utilisé dans l’association, de nombreuses fois pour créer des jeux et de les faire vivre, soit au sein de nos activités scoutes, mais également avec l’école.

Deuxième expertise qui nous est reconnue : nous savons gérer le groupe : gérer ne veut pas dire le dominer, mais le faire vivre. Nous savons créer, entretenir, rendre dynamique, rendre positive la dynamique dans le groupe. Evidemment, on peut établir un lien entre ce qui est le « groupe classe » et ce qui est le groupe au sein des Eclés et que nous, on peut y « arriver » avec notre « amateurisme » [au sens «aimer», ce n’est pas une profession, rappelons-nous qu’on a une implication de bénévoles très importante dans l’association]. Grâce à cette implication bénévole, ces non-professionnels prennent des groupes en charge, des groupes inconnus, et vivent une aventure avec eux. Deuxième reconnaissance de compétence.

La troisième reconnaissance, c’est que nous sommes formateurs. Ce que l’on fait apporte à l’élève. Et apporte à l’élève, non seulement dans l’instant, mais apporte à l’élève, plutôt à l’enfant, avec des retombées potentielles dans le cadre de la vie scolaire proprement dite.
Dernier élément, on a effectivement une singularité dans notre méthode, notre façon de faire vivre l’aventure avec les enfants. C’est quelque chose qui va partir, on ne sait pas faire sans, et il vaut mieux qu’on soit dans cette dimension là, c’est quelque chose qui va partir dans du « avec ». On ne sait pas faire faire ni faire à la place, on fait avec.

Voilà ce que j’avais envie d’exprimer pour resituer ces aspects tellement proches du chemin dans lequel vous êtes aujourd’hui. Nos vocabulaires sont aujourd’hui les mêmes et ce n’était pas forcément le cas il y quelques dizaines d’années.

Un dernier point sur le livret de compétences expérimental : le scoutisme, les Eclaireuses, Eclaireurs de France, ont développé depuis de nombreuses années, des outils qui ressemblent à cela. Ils s’appellent chez les Eclés, « Trace d’étoiles », « Hors pistes », et aussi « le passeport de l’engagement » pour les jeunes- adultes. Ces trois outils qu’on fait vivre au quotidien, et qui ont été fabriqués, conçus, réfléchis, renouvelés rénovés par des gens dont certains sont autour dans la salle. C’est l’expérience qui a permis de faire vivre ces outils qui permettent une progression. Et on en joue, y compris entre salariés et à l’équipe nationale : par plaisanterie, on dit « ah ! tu marqueras ça dans ton Trace d’étoiles » c’est un petit clin d’œil mais évidemment, cela montre bien qu’on a la perception qu’il faut une trace de nos apprentissages et qu’à un moment donné, la nommer, ne serait que dans ce clin d’œil, permet de conscientiser l’apprentissage, et bien évidemment de le reconnaitre par soi-même, mais également par l’autre.

Et puis un dernier mot sur le mot « compétence », on est aux Eclés dans l’action autour de ces mots là. Les fameux piliers du socle de compétences qu’on a cités tout à l’heure, c’est notre corps de compétences justement. Et même, au niveau compétence, on est dans la logique de réfléchir, tant du côté du salarié, et en transposant un petit peu du côté des bénévoles, sur la logique d’une gestion prévisionnelle des compétences. On est dedans, dans la « vraie vie » quand on dit ça. Nous aussi, on doit réfléchir à « quelles compétences dans 10 ans » avons-nous besoin, et quels processus de formation et d’accompagnement avons-nous besoin. De quelles compétences a-t-on besoin et comment met-on en place un dispositif qui permet d’y arriver.

Voilà la modernité, je crois, conceptuelle, de notre association et de la manière dont elle pratique, au quotidien, dans l’action, dès avec les Lutins (6 ans), comment ça fonctionne, et chaque niveau a sa propre adaptation de ces grands principes.
Quelques exemples peut-être dès maintenant? Nous avons sélectionné 4 exemples qu’avec Fanny Boucharin, Délégué nationale du secteur « école » nous allons présenter.

 

Thierry PIOT

J’ai le plaisir à cette table à voir que les boites qu’étaient d’un côté les Eclés et de l’autre l’Education Nationale deviennent plus poreuses les unes aux autres. Et je fais ce constat là, je travaille dans le monde du soin, dans le monde de l’insertion professionnelle, et je vois bien que des cloisonnements qui existaient depuis des dizaines d’années, ne sont plus valables pour réfléchir le monde réel et qu’il y a de nouveaux territoires qui se construisent à partir de l’effacement de vieilles frontières qui n’ont plus complètement lieu d’être ou de porosités qui existent.

Je vous propose, de tenter une définition, fut-elle imparfaite, de la notion de compétence. Alors, il y a beaucoup d’auteurs qui s’en sont souciés ces dernières années. Une compétence, c’est un savoir agir (ce sont des acteurs et non des exécutants dont il est question), fonctionnel (cela veut dire que ça marche dans le vrai monde et pas quelque chose qu’on déclare en apesanteur), évaluable (à travers ce qu’on appelle une performance) et contextualisé (c’est-à-dire que c’est dans un environnement précis qu’on met en ouvre pour telle compétence. Il n’y a pas de compétences en apesanteur qui se promènent n’importe où.) Et les compétences se réalisent à partir de la combinaison de ressources plurielles. Combinaison de ressources plurielles, c’est indiqué quand vous téléchargerez le socle commun de connaissances et de compétences, on a des connaissances, des capacités qui correspondent peu ou prou aux anciens savoir- faire, et des attitudes qui correspondent aux anciens savoir-être des années 70 mis en évidence dans la pédagogie par objectifs. On voit bien là comment on passe d’une logique de formation pilotée par les contenus, quelque chose de relativement fixiste, à une logique de formation qui est pilotée par les compétences. Les compétences, c’est quelque chose de dynamique. C’est ça qui est important de souligner, et c’est là-dessus que les Eclés qui ont une pédagogie qui est basée sur une méthode spécifique, peuvent se raccrocher.

 

Vincent COCQUEBERT

Les problèmes techniques étant résolus, Vincent Cocquebert reprend la parole

Cette intervention a été préparée avec Fanny BOUCHARIN, présente à la tribune, chargée de mission au niveau national sur le secteur « Ecole de l’aventure ». On un travail d’équipe là encore mis en œuvre pour préparer cette présentation ! Nous avons construit ce diaporama qui va passer en « pdf »

Le premier sujet « les explorateurs » : je l’aime bien parce que je l’ai vu naître. Lorsque je suis arrivé, il y a 2 ans, il était en gestation. Il a vécu sa vie. Vous regardez et pendant ce temps je continue de parler. Ce qui est important, au-delà de ce qui est écrit et que vous lisez très bien sans moi, c’est le fait que j’oserais dire que pour la première fois (mais on ne fait que réinventer le monde) les Eclaireurs sont entrés là dans une véritable démarche d’ingénierie. C’est-à-dire qu’on a peut-être encore passé un cran dans notre capacité de faire, et qu’on a pris le temps, de véritablement réfléchir –on le faisait déjà avant- et d’être dans une ingénierie, c’est-à-dire de déclencher tout un processus, un peu long peut-être, de vérifications…avec les acteurs proprement dits pour mettre en place ce projet des explorateurs au collège, au début mais qui maintenant est valable par l’ingénierie partout, qui donc est une véritable aventure que l’on propose en construction avec les équipes éducatives. On crée dans une séquence assez courte, et dans le temps périscolaire, on crée une forme de scoutisme pour grand public.

Vincent Coquebert commente les images du diaporama qui met en parallèle les Eclés et l’école dans cette présentation des explorateurs. Il montre le lien qui existe entre les explorateurs et le socle de compétences.

Deuxième sujet : la classe campée : là on sent bien qu’on est sur quelque chose dont tout le monde a une représentation. Il n’est pas courant de réfléchir sur une aventure campée dans le milieu de l’Education Nationale et donc on a une connexion évidente avec notre savoir-faire, et ce en quoi il y a une préparation forte avec l’équipe éducative. C’est encore plus puissant comme innovation dans ce qui va être vécu, que les plus classiques classes de découvertes dans les centres Eclés. On change de monde, il n’est plus habituel aujourd’hui de camper. C’est une originalité qui nous porte. On y retrouve la vie en petites équipes, la vie dans la nature, l’éducation par l’action, ce qui fait écho aux principaux éléments qui peuvent être aussi dans le cadre de la classe.

Croqu’nature : un projet original qui a pour vocation de permettre à des enfants qu’on ne toucherait pas dans la durée –le scoutisme est un engagement dans la durée. L’idée qui était derrière le projet de croq’nature, c’était de permettre à des enfants qui ne connaissent pas le scoutisme, de découvrir, par l’action encore, l’aventure scoute avec une ambition éducative forte et la mise en œuvre de tous les éléments de la méthode. Et à nouveau, on retrouve ce croisement, en quoi notre méthode est en liaison, en synergie avec ce référentiel du socle commun des connaissances et des compétences.

Et le dernier exemple que j’ai repris, quand même : la formation des délégués de classe. On l’a évoqué indirectement ce matin, on ne nait pas délégué de classe, cela s’acquière, c’est une compétence qui a de la forte résonnance sur soi-même, pour le jeune. Il faut donner au jeune des outils et des repères qui vont lui permettre de remplir ce rôle et d’en comprendre la complexité, par rapport à ses pairs et par rapport à l’enseignant. Bien évidemment, très vite, on connecte avec le socle de compétences et on voit bien à nouveau, en quoi il y a une singularité dans ce que nous apportons, en complémentarité de l’Education Nationale.

 

Philippe CLAUS

Il y a dans votre introduction, et dans la nature de vos interventions, au moins deux entrées sur lesquelles une interaction entre ce que vous apportez et ce qui est l’intérieur de l’Education Nationale, et je ne me place pas du tout du côté du ministère, mais de la réalité là où ça se passe, c’est-à-dire dans les unités d’enseignement, il y a vraiment sur –ce-qui m’a fait très plaisir- votre première entrée, la spécificité du jeu. Et je crois que c’est une dimension, – je suis doyen du groupe « Enseignement Primaire », c’est vous dire quand même que la question du jeu m’intéresse particulièrement, surtout auprès des élèves les plus jeunes – il y a là une dimension que nous avons totalement négligée pendant les 3 ou 4 dernières décennies. C’est- à-dire, partant d’un constat qui est réel, apprendre c’est quelque part difficile et il ne faut pas non plus leurrer l’élève, cela restera difficile, on a oublié si le jeu ne permet pas l’apprentissage premier, le jeu peut être un moyen extraordinaire de conforter un apprentissage, de l’enfler, c’est-à-dire d’arriver à sa maîtrise. Et on est complètement dans le socle.

Et deuxième point que vous avez marqué comme étant l’une de vos forces, et peut-être l’une de nos faiblesses, c’est celle de la dynamique de groupe. Je crois très clairement qu’aujourd’hui, nous sommes avec une classe, ou un groupe d’élèves si ce n’est pas une classe, mais cela reste simplement un peu trop souvent une classe, qui est devenue aujourd’hui un lieu de tension extraordinaire et nous savons bien – Roger Vrand le sait mieux que moi – que cette tension dans la classe est génératrice d’une partie de la tension dans les établissements scolaires et de la violence. La violence est déjà interne à la classe et c’est vrai que nous n’avons pas suffisamment réfléchi à la dynamique qu’il y avait autour d’un groupe composé de deux éléments, moi j’insiste plus en ce moment sur l’individualisation, c’est-à-dire à l’intérieur du groupe reconnaître la personnalité et les besoins de chacun, et cette force de pouvoir avec des besoins individuels, continuer à créer une dynamique collective qui avance. Et c’est vrai que là on a besoin de travailler ensemble. Je ne dis pas que le reste n’est pas intéressant, mais je souhaitais souligner ces deux éléments où l’action peut être véritablement complémentaire.

 

Roger VRAND

Première réaction d’abord de nature tout à fait pratico-pratique, puisque j’ai sur mon bureau et sur les bureaux de mes collaborateurs, un certain nombre de chantiers qui ne demandent que des coopérations et des collaborations, à vous entendre, je pense qu’il y a matière à ce que nous nous repenchions sur un certain nombre de ceux-là et de vos propositions et de vos démarches puisque ce que vous avez dit effectivement, comme le dit Philippe Claus à l’instant, sur la prise en charge des groupes peut tout à fait nous intéresser. J’ai à peine évoqué, lorsque j’ai parlé, de la vie des CVL (conseils de la vie lycéenne) et des choses comme la formation des délégués de classe et d’autres. Donc, je pense qu’il y a matière à ce que nous poursuivions le dialogue et la réflexion là-dessus.

Petite remarque un peu plus générale, je crois qu’il faut vraiment donner acte aux capacités, aux démarches des Etablissements en matière de prise d’initiative et de conduite de projets. Je fais écho à ce que vous disiez en démarrant, il est vrai qu’ensuite la notion de risque, il faut savoir comment on l’entend, comment on la circonscrit, on est prêt à prendre des risques matériels, mais pas dans le cadre d’expérimentation que l’on pourrait engager, à considérer les enfants, les élèves comme des cobayes bien entendu. Donc ça, ça constitue nécessairement, un cadre de précautions et de prudence, mais je crois qu’on est bien d’accord là-dessus mais en revanche, il y a de la place et un désir dans bien des Etablissements pour une prise d’initiatives. Une prise d’initiatives dans un champ : celui dont je suis sensé m’occuper, celui de la vie scolaire, c’est un champ large. Alors bien entendu, les appellations en terminologie ont toujours des ambigüités ou des pièges et l’ancien professeur de lettres que je suis, se souvient des ambigüités ou des polysémies qui peuvent y avoir derrière les adjectifs épithètes. La vie scolaire, pour moi, ce n’est pas un pan découpé, qui serait découpé horizontalement ou verticalement dans la vie. Ce n’est pas une partie de la vie, c’est la vie dans sa totalité à l’école. C’est une ouverture de champ et de perspective d’une autre nature et c’est là-dessus que nous pouvons nous rencontrer.

 

Thierry PIOT

Il y a deux éléments sur lesquels j’aimerais conclure :

Le premier à partir de la notion de « jeu », la notion de « jeu » justement, un de ses points forts, c’est que c’est l’occasion de prendre des risques pour « de faux ». Donc dans le jeu, justement, on peut se permettre de tomber, se permettre de chuter, d’une certaine manière, c’est pour rire. Mais on peut en apprendre. Cette prise de risque m’amène aussi à évoquer un mot, alors que curieusement, sans doute était-il dans l’esprit de chacun à défaut d’être dans la bouche de chacun, c’est la logique dans laquelle s’inscrit finalement tout ce dont on parle. Ce matin a été évoqué en séance d’ouverture, la logique de défiance vis- à-vis de la jeunesse. Sondage qui est paru dans « Le Monde » il y a quelques jours, et je pense que tout ce dont on parle là, cette collaboration ne vaut que si on est tous dans une logique de confiance. Non pas simplement Education Nationale, milieu associatif et notamment Eclaireuses, Eclaireurs de France, mais une confiance dans les possibilités des jeunes. Je pense que c’est un petit risque mais qu’on ne peut pas ne pas prendre que de faire confiance (Philippe Mérieux parlait de pari d’éducabilité notamment au près des jeunes les plus fragiles et les plus en difficulté). Je pense que l’Education Nationale de son côté, les Eclaireuses, Eclaireurs de France de l’autre, s’inscrivent nécessairement dans cette logique de confiance, mais il me plait de rappeler ce mot sans lequel les mots sont vides de sens. Pour reprendre les problèmes de l’utilisation d’une rhétorique qui ne correspond pas toujours à de réelles pratiques.

Le deuxième point, c’est un certain nombre de tensions. Je ne pense pas qu’on soit sur des choses, des choses qui se décrivent sur des produits fixes. On est dans des logiques de processus, dans des logiques interactives, donc dans des logiques vivantes. Et ce qui est vivant, moi j’ai relevé un certain nombre de tensions qui traversent. Quand je vais énumérer ces quelques tensions, ce n’est pas pour indiquer l’idée qu’il faille aller vers tel ou tel pôle de la tension. L’idée, c’est de jouer sur les curseurs entre toutes ces tensions dans les contextes et dans les dynamiques particulières. Mais en même temps, repérer les tensions, cela peut servir de carte conceptuelle pour savoir un petit peu où on met les pieds, parce qu’on est là dans des choses qui ne sont pas simples à penser, ni même à vivre. Tension entre le scolaire et l’éducatif, qui a été rappelée à cette tribune.

  • ·  Tension entre soi et autrui.
  • ·  Tension entre le même et le différent.
  • ·  Tension entre l’agir et le réfléchir.

Je m’arrête un instant pour dire : l’action n’est pas prenante, que si on réfléchit sur ce qu’on a fait, c’est la le sens de la notion de réflexivité qu’à été évoqué ce matin. C’est-à-dire, on peut apprendre de ce qu’on fait si on est capable de se dire, de discuter ce que l’on fait avec d’autres, les pairs, ou de manière asymétrique. C’est à partir de là qu’on peut apprendre de ce que l’on fait. D’où le rôle des conseils divers et variés qui existent à tous les âges chez les Eclaireuses, Eclaireurs de France, et d’où le rôle des conseils de classe, d’où le rôle des heures de vie de classe au collège, d’où le rôle de ce qui se passe dans la maison des lycéens. On ne peut apprendre du collectif et du social que si on le met en mots et si on le partage. Ce qu’on dit, ce qu’on adresse à autrui, on l’adresse aussi à soi, et on peut en apprendre. C’est le rôle fondamental de la parole, tous ces dispositifs là, ils fonctionnent : l’échange de l’interaction et de la controverse, il n’y a pas une sorte de doxa qui tombe et qui ne soit pas discutable.

  • ·  Tension entre le droit et le devoir, cela a été rappelé
  • ·  Tension entre ce dont on hérite

On a beaucoup parlé ce matin des héritages. Mais les héritages ne valent, d’une certaine manière, que si on les trahit un petit peu pour inventer demain et pour constituer l’héritage qui ne soit pas la reproduction du même, d’une génération sur l’autre

  • Tension entre le local, le particulier et le global, le général
    Voilà les quelques tensions que je souhaitais évoquer en termes de conclusions.

Mon dernier mot de conclusion est de remercier les orateurs qui étaient à côté de moi à la tribune et j’y associe aussi Jo Losfeld, Recteur d’Académie honoraire et ancien directeur d’IUFM, parce que c’est lui qui nous a tous mis en relation, c’est lui qui avec maestria, patience et dextérité a su monter le symposium qui vient d’avoir lieu devant vous. Donc je le remercie.