… entre rupture et continuité
Le texte qui suit est un résumé d’une intervention lors de la « journée de la mémoire du scoutisme laïque » le 24 novembre 2018
De l’espace potentiel au temps des possibles :
Entre rupture et continuité
Jean-Jacques Jousselin,
pédopsychiatre,
chargé de mission pour le secteur « séjours adaptés » des EEDF de 1985 à 1988.
Dans les temps anciens, les grecs nous racontent la naissance du monde et celle des humains.
Zeus peu satisfait de la création des êtres vivants, convoqua Prométhée et Epiméthée, les deux frères Titans, afin qu’ils dotent ceux-ci de dons leurs permettant de se défendre et de vivre. Epiméthée (« celui qui réfléchit trop tard ») se chargea de distribuer force, rapidité, courage, ruse, plumes, poils, ailes, sabots, griffes, et autres attributs.
Satisfait de son travail il appela Prométhée (le prévoyant) qui contempla l’œuvre de son écervelé de frère et s’aperçut que les hommes, tout nus, n’avaient rien reçu. Pour réparer cette injustice, il alla voler le feu sur le char céleste afin de le donner aux hommes pour qu’ils acquièrent la technique par les arts du feu. Ils purent donc ainsi se défendre et rester en vie.
Pour cela ils se regroupèrent et tentèrent de vivre en groupe. Mais bien vite les disputes et les violences se déchaînèrent entre eux. Zeus, affligé par ce spectacle décida de doter les humains de deux autres attributs : l’empathie et l’équité.
Ainsi les grecs anciens proposent de penser le « prendre soin » par une alliance du savoir être, du savoir-faire et de la solidarité.
De mai 86 à mai 88 une étude sur les séjours pour jeunes et adultes dits « handicapés » a été menée par les EEDF. Elle s’est appuyée sur 200 séjours vacances, 4000 participants, 800 animateurs et 80 000 journées vacances. Elle a donné lieu à un document final publié par l’INJ (Institut National de la Jeunesse) sous le titre : Document de l’INJ n° 5, Séjours vacances et handicap mental : L’espace potentiel.
La question était la suivante : Comment se fait-il que les séjours vacances recevant des jeunes et des adultes porteurs d’un handicap soient autant sollicités et apportent un réel bien-être, non seulement aux participants mais également aux animateurs ?
L’empathie, OK. L’esprit de solidarité, OK… Mais le savoir-faire ? Ce savoir nécessaire pour intervenir auprès d’un public en situation de handicap, lui, il n’était pas au rendez-vous. Et pourtant, ça marche !
Cette étude a permis de mettre en avant quelques points.
Premièrement que ce temps de vacances permettait une rencontre nouvelle faite de découverte réciproque, sans a priori et avec un véritable don de soi.
Cette rencontre/confrontation, une fois la surprise, l’étonnement, les doutes et l‘angoisse passés laisse place à un plaisir partagé raconté par tous.
Dès lors se mettent en place des échanges autour du plaisir à découvrir, à jouer, à être. La primauté est donnée à l’accès au ludique sur le déficit. La différence est perçue, non comme une perte, mais comme une richesse, une autre chose en plus, dans la relation humaine.
Se met alors en place un véritable espace potentiel, cet entre-deux, décrit par Winnicott, entre le réel et l’illusion. Des échanges affectifs émergent dans une relation à l‘autre particulièrement intense et qui marquent une volonté d’être là ensemble, d’agir ensemble, de vivre ensemble et de partager ensemble du plaisir à être.
Mais c’est aussi un échange de valeur, où les échanges ne sont pas vécus en termes de déficience ou de distorsion, mais de spontanéité, de vérité, de naturel. Cette rencontre bouscule son propre système de valeurs et introduit à une ouverture sur soi-même et sur ses propres limites.
Dans cet espace potentiel, le plaisir partagé est donc le carburant du vivre ensemble. L’empathie et la solidarité engagent les animateurs à découvrir l’autre, à échanger, à s’enrichir de lui, et à prendre du plaisir dans le vivre ensemble.
Mais au-delà du savoir être, où est alors le savoir-faire dans cette rencontre ?
Nous sommes dans un entre-deux du retour au réel. Une aire d’échange affectif, émotionnel, qui doit cependant se reconnecter avec la réalité sociale.
Ce que décrivent les animateurs, c’est cette dureté parfois de l’accueil dans la vie sociale courante. Cet espace potentiel doit bien être une « aire intermédiaire d’expérience » et non pas une parenthèse qui pourrait renforcer l’isolement.
C’est bien là que se situe le savoir-faire, dans cet objectif pédagogique : aider la personne dans sa construction pour être un citoyen de ce monde.
L’animateur doit être un Tiers accompagnant, médiateur et un passeur de la différence et de la solidarité dans le réel de la vie. Sinon il ne sert à rien de revendiquer se situer dans le cadre d’un loisir éducatif par l’action.