1953.12 : Notre scoutisme en Afrique

 À l’occasion d’un hommage à Sar Ousmane, un excellent rappel par Malick M’Baye de l’histoire du scoutisme laïque en Afrique « noire »

 

Extraits d’un texte écrit en avril 2011 par Malick M’Baye, à l’occasion de l’inauguration d’une rue de Saint-Louis du Sénégal qui porte le nom de Sar Ousmane.

 

Ce document met remarquablement en évidence le rôle des membres africains du Mouvement dans l’animation du scoutisme laïque en Afrique colonisée, à partir d’une impulsion apportée par des Français de souche conscients de l’importance de ce transfert de responsabilité. Il n’est pas étonnant que ce rôle ait conduit nombre d’entre eux, dont Sar Ousmane, à participer efficacement à la réflexion sur une décolonisation inéluctable.

Ce parcours va de l’adhésion de Sar Ousmane aux E.D.F. en 1937 à son décès fin 1953. Nous avons choisi de le situer « après la guerre », sans le découper en phases, pour en mettre en évidence toute la cohérence. Il représente une excellente illustration de l’information apportée au sujet du « scoutisme colonial » dans la rubrique « Premier quart de siècle ».

Ousmane Thiané Sar ! Mais qui était cet homme illustre et grand Africain, auquel la République du Sénégal a dédié la semaine nationale de la jeunesse et de la culture en 1995 et que le Conseil municipal de Saint-Louis honore aujourd’hui, en  dénommant en son souvenir une artère de sa douce ville ?


Enfance et jeunesse

Né à Saint-Louis, le 30 novembre 1919, Ousmane Thiané Sar dit Ndiack Sar ou Capitaine Ndiack par ses amis les Guet-Ndariens et Sanglier Zélé par ses Éclaireurs, est un personnage hors du commun, qui appartient désormais au patrimoine éducatif et culturel Africain. Au cours d’une vie relativement brève, en trente-quatre ans, il s’est dépensé généreusement pour accomplir tant d’œuvres et d’accomplissements  au service de sa cité, de la société, de la jeunesse et du peuple Africain.

Dépositaire de solides valeurs culturelles traditionnelles l’enfant de Guet-Ndar, Sar Ousmane n’en est pas moins un précurseur des techniques d’éducation active modernes, il est le père de  l’éducation populaire en Afrique de l’Ouest et du Centre. Ses premières humanités ont débuté à Saint-Louis et, après une année scolaire passée à Dakar, en 1935, à l’École primaire de l’Avenue Faidherbe (aujourd’hui appelée École El Hadj Bibi N’Diaye), il entre à l’École primaire supérieure (EPS) Maurice Delafosse, où il passera deux ans pour préparer et réussir le concours d’entrée à la prestigieuse École normale William Ponty.  A l’EPS Delafosse, invité par son condisciple et ami Ibrahima Bâ « Girafe », il adhère au Mouvement Éclaireurs le 15 avril 1937.  Ce Mouvement, qui a vu le jour au Sénégal grâce à Salomon Matalon en octobre 1935, est officiellement reconnu le 18 janvier 1936. Son professeur d’enseignement général Etienne Pujos, second Chef de troupe des Éclaireurs de France et  fondateur des troupes Éclaireurs de France : Taggi Cooli et Kër Gayndé, l’initie au scoutisme et le nomme la même année Meneur de troupe puis Chef de troupe.  Cette initiation rapide à la prise de responsabilités sera déterminante dans son brillant parcours d’éducateur et de scout.  Il sera le premier africain nommé Chef de troupe en 1937, Commissaire de la province Afrique occidentale des Éclaireurs de France, le 11 janvier 1950 et le deuxième Sénégalais tisonné de Cappy en avril 1951.

À l’École Normale William Ponty, transférée de Gorée à Sébikotane en 1938, il crée le Groupe local Pontyville qui compte plusieurs unités et c’est grâce à lui qu’un pontyn sur deux a adhéré au scoutisme. En 1938, Sar Ousmane entrait à l’École Normale William Ponty de Sébikotane qui formait alors tous les cadres de l’administration, des instituteurs (d’où son nom d’École Normale), des candidats à l’École de médecine et de pharmacie Jules Carde, des candidats à l’École de vétérinaire ou de technique supérieure de Bamako… Ces jeunes gens, toutes ethnies confondues et de croyances différentes, étaient des ressortissants des Territoires de l’A.O.F. (Afrique Occidentale Française) et même de l’A.E.F. (Afrique Équatoriale Française). Portant le même uniforme, ils se retrouvaient, trois années durant, dans les mêmes salles de classe et dortoirs, partageant les mêmes repas, les mêmes activités sportives : athlétisme, football, scoutisme, théâtre, etc.

Une page de la belle calligraphie de Sar Ousmane,

dans son cahier de géographie de 3ème année en 1941 à l’Ecole Normale William Ponty de Sébikotane

Le rayonnement en Afrique

C’est dans ces conditions, que Sar Ousmane implantait le Mouvement Éclaireur à Sébikotane, en créant le groupe local Pontyville, qui comptait plusieurs unités, des troupes et des clans ; aidé par Edmond Favre, son professeur de sciences naturelles, ancien EDF (Éclaireur de France) et son épouse Agnès. Il fit de Ponty l’École d’où rayonnera le scoutisme africain. C’est de cette prestigieuse école que partiront nombre d’éclaireurs qui implanteront ou développeront meutes, troupes et clans dans les différents territoires d’alors, la plupart du temps, aux côtés d’anciens EDF, enseignants,  commis d’administration, ouvriers ou  jeunes effectuant le service militaire aux colonies, qui prendront également une part importante à cette grande aventure. Le scoutisme s’installait également dans toutes les grandes écoles fédérales de l’époque ; mais, c’est principalement de  l’École Normale William Ponty de Sébikotane que partiront les relais à l’acte fondateur de Matalon : Djibo Bakary au Niger ; Kassory Bangoura, Ferdinand Crepy, Jean Philippe et Hélène Philippe en Guinée ; Etienne Pujos, Maurice Seignolle, Ibrahima Sangho et Bocar Madiou Cissé au Soudan (Mali actuel) ; Ouézzin Coulibaly et Lompolo Koné en Haute Volta (Burkina Faso actuel);  Adolphe Bolé, Achy Paul et Paul Zoukou Bailly en Côte d’Ivoire ;  Amadou Hamath Wane,  Ousmane Thiané Sar et l’Inspecteur de l’enseignement primaire Roche en Mauritanie ; Albert Champion et Daniel Ananon au Togo ; Marcel Condette et Marcel Séguier au Dahomey (Bénin actuel). En effet, si Matalon avait implanté durablement le scoutisme laïque, avec de solides structures telles que  la Province, le district, les groupes locaux, c’est, cependant, à Sar Ousmane que nous devrons son expansion à travers l’AOF.

A l’École Normale William Ponty, il découvre l’Afrique dans sa richesse humaine et fait connaissance avec la plupart  des futurs  acteurs  du  processus de la décolonisation. En 1938,  Ponty venait d’être transférée de l’Ile de Gorée à Sébikotane et la promotion 1938-1941 à laquelle il a appartenu se révélera être parmi les plus créatives et les plus célèbres de cette École.  En effet, de nombreux Hommes d’État, des diplomates de carrière, des enseignants et des médecins de renom, même un illustre pensionnaire de la Comédie Française seront issus de cette promotion :  Bakary Djibo, Assane Seck,  Abdoulaye Albert N’Diaye, Baffa Gaye, Thierno Souleymane Diop, Abdoulaye Seck dit Douta, Bocar Cissé, Sidi Mohamed Déyine, Mangoné Seck, le Professeur Papa Koaté, le Docteur Lamine Sine Diop, Demba Bèye, Modibo Bamani, Ibrahima Ahmadou Sangho, Mbaye Gaye, Ousmane Sarré, Malick Thioye, Abdoulaye Diallo, Maham Coulibaly, Demba Konaté, Kélétigui Mariko, Abo Damadia, Lompolo Koné, Amadou Bocar Mbow, Séga Gueye, Arona Sy, Macodou Diène, Mody Diagne, Maurice Kiamiri, Tidiane Nam, Bénié Ngoupin, Kassory Bangoura, etc.  Dans tous les domaines de la vie où ils ont eu à s’engager, ils se sont toujours distingués par leur abnégation, leur dévouement et leur compétence au service de l’Unité de l’Afrique.  Pouvait-il en être autrement de cette génération qui avait assimilé le message de leur surveillant général Ouézzin Coulibaly à l’occasion des  présentations de vœux en 1940 : « puisque vous êtes une génération de transition, vous êtes une génération sacrifiée, mais faites en sorte que votre sacrifice ait un sens ».

Parmi ses professeurs, quelques anciens éclaireurs tels que Marcel Séguier, professeur de pédagogie, Sorgues, professeur de mathématiques, lui prêteront une main forte; mais c’est surtout son professeur de sciences naturelles, Edmond Favre (Yeuk philosophe) et son épouse Agnès qui lui apporteront un puissant soutien et lui manifesteront une affectueuse amitié.  L’influence de Favre (ancien membre de la SFIO et militant syndical) sera déterminante auprès de tous les pontyns : c’est lui qui initie Sar Ousmane aux principes et méthodes coopératifs, l’incite à faire du syndicalisme et de la politique.  Il deviendra Conseiller municipal sous le magistère de Mar Diop, Maire de Saint-Louis du Sénégal, puis sous celui de son successeur, Maître Babacar Sèye.

La grande chaîne : éveil et prise de conscience :

Ousmane Thiané est un acteur principal de l’Histoire du scoutisme en Afrique, une histoire faite d’une suite de conjonctures complexes où les rapports entre l’autorité coloniale et les jeunes africains ont été passionnés  à travers les activités du clan de la Grande chaîne qu’il a crée en 1941 pour maintenir les liens avec ses condisciples éclaireurs éparpillés dans toute l’Afrique et pour échanger des idées et des expériences afin de  mieux répondre aux besoins et aspirations des routiers et responsables du Scoutisme laïque à tous les échelons, en harmonie avec leur environnement.

En effet  le 13 septembre 1941, Sar Ousmane, déchiré par la séparation des normaliens de sa promotion (1938-1941), qui fut la première promotion scoute de l’École, reprit l’idée de la création  d’un Clan original en Octobre 1941, qui permettrait à tous les anciens EDF de Sébikotane et des grandes Écoles fédérales de maintenir le lien fraternel qui les avait  unis dans le scoutisme, trois années durant. Ce clan  dénommé : « La Grande chaîne » qui avait vu  le jour, se proposait de consolider les liens entre ses membres dispersés dans toute l’Afrique, d’être un centre d’action et de réflexion pour la définition d’un scoutisme authentiquement africain et de cultiver l’amour de l’Afrique chez tous ses membres. C’est à ce moment précis, que se réveillèrent des « vichystes » de bon aloi, qui décrétaient une véritable chasse à l’homme, parmi les cadres et les routiers du scoutisme laïque. Mais pourquoi, pourquoi donc ? Parce que tous les observateurs avertis avaient constaté que le Mouvement éclaireur était  devenu un véritable instrument d’éveil et de prise de conscience,  qui se proposait, entre autres, de lutter pour un monde plus humain, de former des citoyens libres et utiles,  prenant part activement à la vie de leur cité et à la transformation qualitative de leur société. Ousmane Thiané et ses compagnons de route voulaient simplement replacer l’idéal de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine au service de l’Afrique et de la pédagogie scoute. À cette époque, toute initiative éducative endogène  sérieuse devenait suspecte aux yeux de l’Autorité coloniale ; c’est ainsi que la plupart des membres du Clan de la Grande chaîne, solides éducateurs et  éveilleurs de conscience, seront étroitement surveillés, parfois inquiétés et  quelquefois victimes de brimades.

À sa sortie de Ponty en septembre1941 et après son service militaire effectué au 6ème Régiment d’artillerie coloniale, il sera affecté en 1942 en qualité d’instituteur, en même  temps que ses camarades de promotion : Albert Ndiaye, Baffa Gaye et Séga Gueye, à l’Ecole urbaine de Rufisque que dirige M. Joseph Legoff (époux de Mme Germaine Legoff, alors directrice de l’École normale des filles de Rufisque), il y retrouve Saër Gaye, Renard paternel, Chef de la Troupe Guynemer du   groupe local des éclaireurs. Entre temps, malgré l’épisode de la Grande Chaîne, le mouvement EDF était devenu incontournable.

Un rassemblement scout « interalliés » pour l’Afrique de l’Ouest en plein conflit mondial

C’était tout à l’ honneur de Sar Ousmane,  après le ralliement de l’AOF au camp des Alliés en 1942, que d’avoir été sollicité par les Services de jeunesse du Sénégal et de la Gambie britannique qui lui confièrent, en plein conflit mondial, et l’organisation, et la direction du premier rassemblement scout de grande ampleur en Afrique de l’Ouest.  Albert Remondet, Germaine Taxil et Edmond Favre ont été ses soutiens les plus fidèles et les plus constants à ce moment- là. Grâce à lui et à ses compagnons de la Grande Chaîne, que le mouvement Éclaireurs était devenu incontournable, même aux yeux de ses pires détracteurs, des vichystes de bon aloi qui, au gré du tournant de la Seconde Guerre, étaient miraculeusement devenus des résistants de dernière heure.

Le Camp interallié qui dura  un mois, du 8 septembre au 8 octobre 1943, à l’École Normale rurale de Katibougou,  regroupa 120 participants issus d’une troupe des Boy Scouts de la Gambie, des Éclaireurs laïques, des Éclaireurs Unionistes,  des Scouts du Soudan (Mali actuel) et du Sénégal. La direction du camp fut confiée à  Sar Ousmane. Les rares  journaux de l’époque donnèrent un large écho à l’évènement. Parmi les participants, figuraient, entre autres: Bubakar Séméga Janneh, chef de la délégation de  la Gambie, Eunson son assistant, Mgr  John Dany, Évêque de Gambie et de Rio Pongo, Catherine Koudjina (future Madame Prince), Badara Dia, Albert Ndiaye, Amadou Bassirou Sow  « Pinson rieur », Etienne Pujos, Abdoul Maham Bâ, Aboubacry Dème, Ibrahima Ahmadou Sangho. Ce revirement de la situation constituait un désaveu cinglant, à ceux qui voulaient détruire le Mouvement EDF et redonnait ainsi confiance aux responsables éclaireurs.

Après la guerre, l’organisation du Mouvement

Après les péripéties  de la Grande Chaîne et les affres de la Deuxième Guerre mondiale, Sar Ousmane envisagea de restructurer profondément le mouvement Éclaireur, en dotant la province de cadres solidement formés selon les critères du scoutisme international, de structures de décisions démocratiques et de programmes réellement adaptés aux besoins des jeunes, à la réalité de leur temps et de leur environnement. Il mettra fin avec fermeté à toutes les tentatives de création d’unités « de race » en A.O.F.. En 1947, c’est lui qui est choisi pour diriger la délégation du Scoutisme de l’A.O.F. au Jamboree mondial de Moisson en France en août 1947, qui comprend des responsables de premier plan : Albert Ndiaye, Alassane Ndaw, Abdoulaye Gueye Cabri, Doudou Fara Mbodje, Aboubacry Dème, Amadou Hamath Wane, Charles Carrère, Amadou Tidiane Diop, Amadou Diouf, Moustapha Diallo, Amadou Bassirou Sow, Yaya Kâne, Bouna El Moctar, Souleymane Ndiaye, Thierno Mademba Gaye, Amadou Ndéné Ndaw, Ousmane Diop, Mohamed Naby Youla ; ainsi  des juniors parmi lesquels : El Hachiméou Sar, Georges Moussa Mbodje, Ahmed Gaye Pigeon, Mame Ndiack Seck, Alassane Sy Gorel, Ahmed Jidou, etc.

Aussi sélectionne -t-il de nombreux responsables Africains, qui avaient fait leurs preuves, après une formation initiale dans un Camp école préparatoire en Afrique pour accéder à un niveau supérieur, celui du Camp national d’entraînement, communément appelé « Cappy » (…). Ce stage conférait aux participants qui avaient été confirmés et  après la rédaction d’un mémoire, le port du foulard de Gilwell et d’un collier en cuir agrémenté de deux bûchettes dites tisons ou badges de bois, les qualifications requises pour diriger un CEP.  Après le Jamboree de Moisson, c’est le Commissaire général des Éclaireurs de France, Pierre François, qui dirigera la session de Cappy pour les Chefs africains et ultra-marins. Tous les aînés de la Délégation participèrent à la session.

À Moisson au Jamboree de la Paix

À bord du navire le S/S Cap Saint Jacques qui ramenait les éclaireurs  du Jamboree, Sar Ousmane convoqua le premier congrès de la Province A.O.F., en présence des Éclaireurs d’A.E.F.. Ce congrès fit des recommandations à chaque territoire d’organiser, annuellement, des camps écoles de branche, un congrès pour renouveler démocratiquement toutes les instances du Mouvement, un recrutement massif dans les établissements scolaires à tous les niveaux de l’enseignement, dans les villages et grands centres urbains, d’accès  les activités aux besoins des jeunes et aux réalités du pays, de participer ou d’initier des activités destinées aux populations (théâtre, feux de camp, investissements humains, campagnes de reboisement ou d’assainissement, lutte contre les feux de brousse …). Pour donner suite à ces décisions, Sar Ousmane convoqua, à intervalles réguliers, au Comité de province tous les Commissaires de District pour faire le bilan sur la situation du Mouvement ; il organisait, à chacune de ses réunions, divers camps écoles et des activités publiques de grande envergure destinées aux populations pour stimuler les responsables des différents Districts et leur donner un exemple par l’action. Comme  résultat de son travail acharné, les effectifs de la province connaîtront une progression rapide et régulière.

Depuis 1945, il enseigne à l’École de Guet Ndar, deux années durant, avant de se mettre en congé de l’enseignement (de 1947 à fin octobre 1951) pour créer  la première coopérative de pêche du littoral Atlantique ouest africain « COOPÊCHE ». Dans les Archives du Sénégal, au titre des devoirs des élèves de Ponty figurent quelques  études rédigées par Sar Ousmane ; parmi celles-ci, je citerai la dédicace du numéro 186, daté de 1941, consacré à une monographie de   Guet-Ndar « A ma chère maman qui m’a servi de père et qui aime tant son village et ses enfants, je dédie ces modestes lignes. ».Comme sa mère, il aimait profondément Guet-Ndar.

Initiateur, coopérateur, syndicaliste et citoyen

Déjà en 1946, il avait fondé le Syndicat des travailleurs de la mer et du fleuve, après son séjour au Jamboree mondial de Moisson, où, grâce à l’aide de  son ami Joseph Chartois, Commissaire de Province des éclaireurs de la Bretagne et Inspecteur départemental de la jeunesse, il fit l’acquisition d’un puissant moteur hors-bord. A son retour, il  l’introduisit après un léger aménagement de la  poupe des pirogues ; suite à cet essai concluant, les moteurs étaient vite  adoptés par les pêcheurs et commandés en grand nombre, ce qui réduisait considérablement leur coût. De plus, ils  assuraient   plus de  sécurité, car  leur permettant d’aller loin en mer et de rentrer rapidement, dès que le temps devenait menaçant. C’est ainsi que Sar Ousmane, le bâtisseur, a contribué à l’amélioration des conditions de vie, de travail et à l’organisation d’un mode de gestion plus rationnel des produits halieutiques de Guet Ndar.

En quelques mois, il parvint à supprimer nombre d’intermédiaires véreux et autres usuriers qui, au passage, rançonnaient littéralement les pêcheurs. Il érigea la Maison du Pêcheur à Guet Ndar et  organisa des circuits de distribution de même qu’un vaste marché, se faisant, par la même occasion, de nouveaux ennemis parmi les nombreux commerçants africains, libano-syriens, européens et les grandes maisons de commerce qui perdaient ainsi des sources substantielles de profits. Il réussissait ainsi à augmenter considérablement les revenus des pêcheurs, groupe social auquel il appartenait. Le samedi 3 janvier 1948, Ousmane Thiané Sar  organise l’assemblée générale de la Coopérative de pêche de Guet Ndar, en présence  de M. Larut et de Youssouf Diagne du service de l’élevage. A l’issue de cette assemblée, il est nommé  Administrateur pour 1948, en même temps que : Abou Diop, Alioune Diallo, Amadou Dieye, Silman Fall, Mmes Aïssatou Diaw, Tana Kâne Dieye et  Fatou Cheikh Fall.

À cause de son charisme de leader et  son dynamisme avéré, il est également élu, entre temps, Conseiller municipal  de Saint-Louis du Sénégal, sa ville natale, capitale des Territoires du Sénégal et de la Mauritanie. Malgré  sa lourde charge, il continuait avec le soutien constant de son Secrétaire administratif à la Province, l’ancien Chef de troupe Samba Diama Seck, à construire patiemment le scoutisme laïque qui devint le mouvement de jeunesse le plus important de l’Afrique, il fit ériger à Guet Ndar un local scout fonctionnel, ouvert à tous les jeunes de Saint-Louis, qui devint également le Siège de la Province A.O.F. des Éclaireurs, dont il était le Commissaire. Il faut noter que, depuis 1937, la province organisait annuellement plusieurs camps-écoles préparatoires pour ses responsables, la formation des cadres était une de ses préoccupations permanentes de Sar Ousmane. En 1948, la Province A.O.F. organisait un grand camp école provincial en Guinée. À leur tour, chaque territoire organisait ses camps écoles de branche.  C’est aussi grâce à lui, en sa qualité de conseiller municipal de Saint–Louis,  que la ville accueillit, en août-septembre 1950, une série conférences de Cheikh Anta Diop, dont celle sur le thème : « Nécessité et possibilité d’un enseignement dans la langue maternelle en Afrique ». Il donne une vigoureuse impulsion à l’Amicale des Guet-Ndariens qu’anime son ami le trésorier général Thioba Diagne.  De retour à l’enseignement en novembre 1951, il est détaché, en qualité de Chef du service de la jeunesse, à la Direction de la jeunesse et des sports, à l’Inspection académique du Sénégal et de la Mauritanie que dirige Guy Philippe Renoult où il a comme collègue, son frère éclaireur Daniel Corréa.

Éducation populaire et scoutisme laïque

C’est sous sa vigoureuse impulsion que naissent et se développent les biblio-clubs, les ateliers de reliure, le théâtre populaire, les foyers ruraux, les maisons de jeunes et de la culture.  Il renforce la solidarité entre les différentes régions  du Sénégal et de la Mauritanie et contribue à la définition d’une politique plus dynamique en faveur de la jeunesse. Il était également le  Délégué officiel de la ligue de natation de l’Afrique occidentale française. Il fera du développement communautaire,  avant la conceptualisation du terme.

Depuis le Jamboree de Moisson, Sar Ousmane  participait assidûment en France aux activités du Comité national, aux congrès des EDF ; tout  en envoyant périodiquement des candidats aux stages d’éducation populaire ou aux sessions  de formation niveau Cappy. Sanglier, qui était extrêmement méthodique et parfaitement organisé, profitait aussi de ses nombreux déplacements professionnels à l’intérieur de l’Afrique pour inspecter les différents districts éclaireurs de la Province.

Le Comité Directeur des EDF  le confirmera comme Commissaire de Province  le 11 janvier 1950, lui qui, seul, depuis 1943, faisait effectivement le travail, comme le soulignera Pierre Kergomard dans son hommage rendu à Sar Ousmane publié dans les Cahiers du responsable, en janvier 1954. Toujours en 1950, le Conseil de la jeunesse venait d’être créé en partie grâce  au Mouvement des Éclaireurs et sous l’impulsion de Sar Ousmane. Au départ, il regroupait les jeunes dans un puissant mouvement unitaire de neuf associations toutes tendances  confondues,  pour compter, sept ans plus tard, quatre vingt seize associations membres.  Grâce à l’écoute dont ils jouissaient, du fait de leur importance numérique et de leur audience auprès du milieu associatif, les dirigeants des éclaireurs proposeront la transformation des Centres culturels en Maisons des jeunes et de la culture pour permettre aux associations dépourvues de logistique, toutes obédiences confondues, de pouvoir disposer d’une salle de réunion et des infrastructures techniques indispensables à un fonctionnement correct avec accès à une machine à écrire, à une ronéo, de disposer d’un   projecteur de films, etc. Au sein du Mouvement des Éclaireurs, dès la fin de la guerre, la plupart des routiers et des responsables en appelaient à une accélération du processus d’autonomie vis-à-vis des EDF, de même qu’ils invitaient, dans des motions de congrès, les Autorités à mettre fin aux guerres coloniales fratricides qui affectaient en premier lieu la jeunesse, force vive des Nations. Mouvement d’éveil de conscience et de prise de responsabilités, la plupart des militants issus du scoutisme laïque seront parmi les grands leaders des divers partis politiques,  mouvements de jeunesse ou  syndicats au moment de la décolonisation : Ousmane Thiané Sar, Ouézzin Coulibaly, Majhemout Diop, Amadou Mahtar M’Bow, Abdoulaye Ly, Abdoulaye Gueye-Cabri,  Assane Seck, Ibrahima Sangho, Bocar Cissé,  Alassane Diop, Bakary Djibo, Saër Gaye, Baffa Gaye, Kassory Bangoura,  Issa Diop, Mody Diagne, Ali Bocar Kâne, Alioune Badara Paye, Tibou Tounkara, Boubacar Diallo Telli, Abel Goumba, Abdoul Maham Bâ, Mamadou Marone, Amadou Ndéné Ndaw, Malick Diop, Mbakhane Ndaw, Cheikh Dé Thialaw Dieng, Bara Goudiaby etc.

 

« Cinq semaines en africaines »

Le mouvement EDF vécut un grand évènement qui se déroula du 19 mars au 20 avril  1951. En effet, la Province A.O.F. recevait, pour la première fois, la visite du Commissaire général  Pierre François qui, comme l’écrivit Edmond Favre,  là où il croyait trouver le néant, où il pensait ne trouver des unités qu’à l’état statistique, sur du papier pour tout dire, il découvrit quelque chose d’inattendu : c’était pour lui, en tout cas grâce à lui, que s’étaient dépensés les Albert Ndiaye, Tibou Tounkara, Oumar Wélé, Albert Toufic et autres dévoués. Car Sar Ousmane avait le don de provoquer chez les autres ce qu’il consentait chaque jour : le dévouement total et désintéressé. A l’issue  de cette tournée, Pierre François fit un récit-rapport intitulé   « Cinq semaines africaines », publié dans les Cahiers du responsables n°5, 1951 ; de même sa visite d’un groupe local à Sokone, au Sénégal, sera relatée dans le mensuel, « l’Éclaireur ». Dans ses conclusions, il ne faisait rien d’autre que d’emboîter le pas au Clan de la Grande Chaîne, qui avait eu le tort d’avoir raison une décennie auparavant, en préconisant l’adaptation nécessaire de la méthode et des techniques scoutes aux réalités africaines.

Message aux responsables après la visite de Pierre François

Conscient du travail fourni par l’équipe de Sar Ousmane, Pierre François constitua avec lui un Comité des Éclaireurs de France d’A.O.F., auquel le Comité Directeur des EDF délégua une partie de ses pouvoirs ; il se composait comme suit : Président : Marcel Condette, Inspecteur primaire à Dakar, Vice Présidents : Me Legouy, Notaire et Alioune Sar, Directeur d’école, Conseiller général du Sénégal, Délégué à la propagande : André Terrisse, Inspecteur primaire, Chef du service pédagogique à la Direction de l’enseignement à Dakar, Secrétaire : Edmond Favre, Directeur d’école à Dakar.   Aussi me permettrai-je de citer un paragraphe de l’hommage qu’il lui a dédié dans la plaquette Ousmane Thiané Sar, publiée en 1977 : « Je range Sar Ousmane  parmi les quelques hommes exceptionnels que j’ai eu le bonheur de rencontrer. Après avoir correspondu avec lui durant plusieurs années, il m’a été donné de le voir dans nos réunions nationales et de travailler avec lui, surtout en 1951, lors d’une tournée que nous fîmes ensemble dans les divers territoires de ce qui constituait alors l’Afrique occidentale française. J’ai souffert au cours de ce voyage de la méfiance – le terme est plutôt faible – que la plupart des administrateurs et gouverneurs français manifestaient à l’égard de mon compagnon, parce qu’il n’était pas blanc ;  mais, lui, supportait les rebuffades et les affronts avec une patience et une grandeur d’âme qui me confondaient. Il est vrai qu’il acceptait de souffrir sans mot dire parce que le bien du Mouvement l’exigeait et parce qu’il était assez lucide pour entrevoir des changements prochains. Cependant les contacts que nous avons eus avec les groupes EDF du Sénégal, de la Guinée, du Dahomey (Benin actuel), du Soudan (Mali actuel) et de la Mauritanie, nous ont apporté en compensation beaucoup de joies et comptent parmi mes plus beaux souvenirs. J’ai été alors frappé par l’ampleur pris par notre Mouvement et par l’excellente qualité de ses groupes dans toutes les localités visitées. Partout, je faisais connaissance avec des chefs très sympathiques, menant bien leur affaire et profondément attachés à notre Association. J’étais enchanté de l’œuvre accomplie et je savais qu’il fallait en attribuer le mérite, pour une très large part, à Sar Ousmane. J’ai tout de suite éprouvé pour lui une très sincère amitié en même temps qu’une confiance totale. ».

 

Des colonies de vacances

En mai 1952, Ousmane Thiané Sar, Chef de service de la jeunesse, participe à l’inauguration de la Maison des jeunes de Dakar, en présence des représentants du Mouvement des éclaireurs : la Cheftaine Rose Diène et le Commissaire de District du Sénégal Abdoul Maham Bâ. Avec son plus que frère, Abdoulaye Albert Ndiaye à l’époque Directeur du Centre de plein air de Nianing et Commissaire provincial à la Route du Mouvement des Éclaireurs, il lance et développe des campagnes de reboisement et organise la première colonie de vacances en Afrique de l’Ouest, à l’Ecole normale de Mbour, pour les élèves du Cours élémentaire deuxième année et du Cours moyen  première année de la Mauritanie et du Sénégal, du 12 septembre au 12 octobre 1953. Toujours en septembre 1953, Sar Ousmane, Chef de service de la jeunesse à l’Inspection Académique du Sénégal et de la Mauritanie, organisait à Mbour au Sénégal, la première  colonie de vacances, réservée en priorité aux élèves du Cours élémentaire deuxième année et du Cours moyen première année, des écoles publiques  rurales. À leur retour, ils devraient  initier leurs camarades de classes aux techniques éducatives apprises à la colonie : tissage, pyrogravure, cartonnage, impression, jeux de groupes, etc.  La direction de la colonie  fut confiée à Albert Ndiaye, Directeur du Centre de plein air de Nianing et Commissaire provincial à la Route, qui s’était longuement familiarisé avec les méthodes d’éducation active, grâce aux nombreux stages d’éducation populaire qu’il avait effectuée en France, et l’encadrement fut confié aux Eclaireurs du Sénégal.  Organisée à Mbour,  un mois durant , la colonie qui avait regroupé 78 élèves, âgés de 12 à 15 ans, originaires de Saint Louis, Podor, Dagana, Matam, Louga, Mékhé, Tivaouane, Birkélane, Latmingué, Sokone, Diourbel et  Ziguinchor, se termina le 12 octobre. Plusieurs Autorités académiques du Sénégal et de la Mauritanie rendirent visite à la colonie, qui accueillit également à plusieurs reprises Sar Ousmane. Le succès extraordinaire de cette première était relatée dans le  quotidien de l’époque « Le Paris-Dakar ».

Un mois après cette première expérience couronnée de succès,  Sar Ousmane Thiané, victime d’une courte maladie, probablement due à un surmenage physique et à une crise de paludisme, s’éteignit le 12 novembre 1953, en début d’après-midi à l’Hôpital de Saint-Louis du Sénégal. Après avoir  donné le meilleur de lui-même à la jeunesse et au peuple  du continent africain, Ousmane Thiané Sar repose depuis dans son éternelle demeure entre le fleuve Sénégal et l’océan Atlantique, dans le cimetière marin de Guet Ndar. Aujourd’hui, cinquante neuf ans après son départ pour l’éternité, tout en saluant sa mémoire, nous lui témoignons notre affectueuse fidélité, ainsi que notre fraternelle reconnaissance. Pour cette belle initiative, nous témoignons notre gratitude et adressons nos vives félicitations au Conseil municipal de Saint-Louis qui perpétue le nom de cet illustre Citoyen du monde pour les  générations futures.

Malick M’Baye

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Message de la Commissaire nationale aux Louveteaux des Éclaireurs de France : Andrée Barniaudy-Mazeran qui, après avoir travaillé avec le Commissaire de la Province A.O.F., fit un premier voyage au Sénégal en 1952.

En 1995, lorsqu’elle apprit l’hommage consacré à Sar Ousmane, elle adressa ce message à sa famille et aux éclaireurs.