Il résulte de son histoire que, tout en adoptant les principes éducatifs du scoutisme, les Éclaireurs de France se sont toujours donné la possibilité d’en adapter les valeurs et les traductions à leur choix de laïcité, sans dépendance d’une « doctrine » liée à des dogmes religieux. C’est ainsi qu’ils ont pu générer ou accompagner un ensemble de prolongements dont on trouve la traduction dans un grand nombre d’étapes de l’éducation populaire française.
On peut d’ailleurs considérer qu’André Lefèvre, avec « La Maison pour Tous » de la rue Mouffetard, a été un des pionniers de ce qui devait devenir « l’éducation populaire » et en a accompagné plusieurs des étapes à venir. René Duphil, dans une interview accordée à son gendre, brosse le tableau de ces prolongements.
René Duphil : le Mouvement et ses prolongements
Dès les années 30, création et animation des premières « colonies de vacances » et, sous l’impulsion d’André Lefèvre, création des CEMEA.
À partir de 1936, le lien avec l’Éducation Nationale a été concrétisé, en particulier par la présidence de plusieurs personnalités marquantes : Albert Châtelet, dans l’immédiat avant-guerre ; Gustave Monod et Louis François, ensuite.
Dès les années 40, réflexion sur l’ouverture vers des « patronages » laïques et, sous l’impulsion de Pierre François, responsable national, création des Francs et Franches Camarades.
Après la guerre, sous l’impulsion d’Henri Joubrel, création de l’Association nationale d’éducateurs de jeunes inadaptés ; participation, avec Paul Puaux, à la création du Festival d’Avignon (les Francas, l’ANEJI et Avignon ont été longtemps hébergés dans les locaux du siège national des EDF, 66, Chaussée d’Antin). Par la suite, participation, à l’initiative de René Tulpin, à la création de l’Union Nautique Française et de l’Union Nationale des Centres de Montagne, aujourd’hui fusionnées dans l’U.C.P.A.
Dans le cadre même du Mouvement, la recherche pédagogique a permis une évolution très en avance sur celle des autres mouvements de scoutisme, liés à une structure religieuse :
- création, en 1945, d’un secteur « scoutisme d’extension » dont la définition a été donné par Madame Lévy-Danon, (veuve de « Chouette » Lévy-Danon, responsable régional du Mouvement fusillé par les Allemands) responsable nationale, en direction des handicapés :
« À l’opposé des racistes, qui n’accordent d’efficience qu’à l’homme assez musclé qui s‘impose par la force, nous croyons en la valeur de tout homme ayant usage de sa conscience. Nous croyons que tout être, même infirme, même malade, doit être doué de volonté libre et porté, comme les autres, par sa propre dignité »
- introduction de la formation à la démocratie dans le fonctionnement de l’association et au niveau même des enfants et des jeunes, à partir des «résolutions d’Angoulême » de 1948,
- définition et mise en place de la « coéducation » des filles et des garçons à partir des années 50, aboutissant en 1964 à la création des Éclaireuses & Éclaireurs de France ( à titre de comparaison, les Scouts de France et les Guides de France, d’obédience catholique, viennent de fusionner quarante ans après)
- autres exemples : participation à la création, dans les années 50, du centre de Saint-Lambert des Bois pour jeunes inadaptés ; création, en 1964, de l’association « Loisirs Éducatifs de Jeunes Sourds » qui assure la formation des animateurs et directeurs de centres de vacances pour les sourds et malentendants (documents annexés) – etc…
Les Éclaireurs de France et la Fédération Française des Éclaireuses ont donc joué un rôle important dans la définition et le développement du scoutisme non confessionnel, mais leur action s’est également prolongée vers ce qu’il est convenu d‘appeler « l’éducation populaire », apport d’activités de loisirs culturels et éducatifs à l’ensemble de la société. René Duphil en évoque les principales étapes dans un entretien paru dans la plaquette « René Duphil, acteur et témoin de son temps :
« Dans les années 50, les organisations voisines – Francs et Franches Camarades, CEMEA, Auberges de Jeunesse, etc… attiraient pas mal de gens qui voyaient surtout l’épanouissement personnel, sans les contraintes liées à la vie associative c’est-à-dire avec liberté totale pour les cadres. Et la plupart étaient des créations des E.D.F..
Pendant l’occupation, à partir de 41 ou 42, Pierre François et Vieux Castor ont imposé à l’ensemble des régions une réflexion sur l’avenir du Scoutisme et la recherche de moyens pour regrouper les jeunes dans un cadre beaucoup plus ouvert que le Scoutisme lui-même, qui exigeait une grande qualité d’implication alors que l’ensemble de la jeunesse ne présentait pas les mêmes besoins, et ne disposait pas des mêmes possibilités. Il s’agissait de débroussailler les grands objectifs d’un grand mouvement populaire de la jeunesse.
Les CEMEA – Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active – avaient commencé aux environs de 1935, ils ont pris beaucoup d’expansion – plus peut-être que nous ne l’aurions souhaité – et, simultanément, beaucoup de responsables. Leur objectif était l’organisation de stages de formation de moniteurs de colonies de vacances, ouverts aux cadres EDF mais aussi aux autres. L’appui de l’équipe nationale E.D.F. leur a été acquis dès le départ, à travers Henri Laborde, animateur de l’équipe nationale clandestine à Paris avec Pierre Déjean, membre de la Commission Langevin-Wallon. Ces travaux de recherche nous ont donné l’occasion de rencontrer Jean Guehenno ou François Châtelet qui se préoccupaient d’ouverture vers la culture populaire. Les CEMEA sont restés longtemps installés au 66, Vieux Castor est resté Président des CEMEA quelques temps, Pierre François s’en est détaché pour se consacrer aux E.D.F., j’en ai gardé les responsabilités administrative et financière jusqu’en 1952.
On peut revenir sur le 66, Chaussée d’Antin qui a abrité, non seulement les E.D.F., mais aussi plusieurs associations voisines, pendant et après la guerre : Jeunes de la Croix-Rouge, Education et Santé, CEMEA, Scoutisme Français puis, après leur création, les Francs et Franches Camarades et même le Festival d’Avignon. Nous nous y étions installés avant la guerre, obligés à quitter en 48 heures la rue Le Peletier qui menaçait de s’effondrer. Nous avons loué d’abord un appartement, puis deux, et finalement quatre, le tout représentant près de 1500 m2 de bureaux, avec des fils de téléphone qui couraient partout.
En ce qui concerne les Francs et Franches Camarades, ils ont été une émanation des E.D.F., Pierre François en a été longtemps Président, la Vice-Présidente étant Geneviève Lamon, Commissaire Générale de la FFE, et Claire Mollet (qui s’appelait alors Tulpin) était responsable de la formation des cadres. Pour le Scoutisme Français, les E.D.F. ont beaucoup poussé les autres à sortir de leur cocon pour créer un organisme ouvert à partir du « bureau interfédéral » .
Le Festival d’Avignon, lui, cherchait des bureaux où ils ne voulaient pas être seuls, ils nous ont été présentés par Paul Puaux, responsable E.D.F. de la région d’Avignon où il avait fait beaucoup de résistance. Nous l’avons logé à côté d’Henri Joubrel, responsable E.D.F. de la région de St Malo qui s’occupait de jeunes inadaptés sociaux et avait créé l’ANEJI – Association Nationale d’Educateurs de Jeunes Inadaptés – devenue plus tard une association 1901 à part entière.
L’ouverture de l’animation du Mouvement a été surtout le fait de Pierre Buisson et René Tulpin. Buisson a lancé une première activité, le tour de Corse en kayaks que les jeunes avaient construits eux-mêmes avec l’aide de quelques techniciens. Tulpin en a conclu qu’il fallait faire quelque chose de permanent pour les adolescents et s’est intéressé à Saint-Jorioz, où deux responsables du groupe d’Annecy avaient acheté – pas cher – des terrains au bord du lac. Il a commencé par organiser des stages de moniteurs de kayak, et a adhéré à l’U.N.F. – Union Nautique de France – alors limitée à quelques adeptes parisiens.
Très rapidement, il a affirmé qu’il fallait également faire quelque chose vers la montagne, sous forme de camps itinérants. Il avait le sens de l’organisation mais, bien entendu, pas un rotin, ce qui ne l’empêchait pas d’avancer. Il demandait des moyens au Siège national, qui ne les avait pas, et s’équipait à crédit. Je me rappelle avoir trouvé à Saint-Jorioz, sous une tente, une centaine de vélos dont la facture n’avait pas été réglée… Il fallait trouver l’argent après. Ces actions n’auraient jamais été menées sans des types comme ça, car nous n’avions jamais les budgets à temps.
Tulpin s’est lancé dans la création de l’U.N.C.M. – Union Nationale des Centres de Montagne. qui s’est rapidement développée. Il a eu l’idée de génie de faire le tour des Comités d’Entreprises et d’offrir des vacances pour leurs adolescents. En deux ou trois ans, on a changé d’échelle, on est passé de quelques dizaines à quelques milliers, il a fallu proposer des calendriers couvrant de juin à octobre, en louant des chalets de montagne. Quand l’U.N.C.M. s’est développée, on a évidemment touché une clientèle des autres associations et nous avons été obligés de l’étendre en dehors des E.D.F., aux autres mouvements de scoutisme mais aussi, par exemple, à la Fédération des Cheminots – une quinzaine d’associations en tout. Tulpin en était le Président, le secrétariat général étant assuré par Honorat, camarade E.D.F. détaché de l’Education Nationale. »