2024.06 : Pierre de Coubertin, un des premiers créateurs du scoutisme en France

Nous avons, le 12 juin, participé à une rencontre intitulée « D’autres corps, d’autres jeux », organisée à Paris par le Comité Français Pierre de Coubertin.

Nous présentons ci-après :

  • Le programme de la rencontre,
  • La présentation (rapide) effectuée sur place,
  • Le texte correspondant.

Le programme de la rencontre

Notre présentation

Le texte correspondant

Lorsque Pierre de Coubertin s’intéresse, au-delà du sport, aux loisirs sportifs

 Pierre de Coubertin mal connu (ou méconnu) : de la société des sports populaires à la création du scoutisme en France

L’environnement historique : une période riche en recherches

Le début du XXème siècle est marqué par des réflexions sur une « éducation nouvelle » menée par diverses personnalités (Montessori, etc…) pour une meilleure participation de l’enfant à sa formation. Cette réflexion va s’étendre au rôle des loisirs et va voir apparaître une nouvelle proposition, le scoutisme. Une quinzaine d’années après la renaissance des Jeux, Pierre de Coubertin va s’y intéresser.

La création des Éclaireurs Français par Pierre de Coubertin :

Un document, apparemment publié à la fin des années 20 par les « Éclaireurs Français, Boy-scouts de France », décrit la création de leur fédération dans le cadre de la Ligue d’Éducation Nationale sous l’impulsion de Pierre de Coubertin et en situe les grands principes par rapport au scoutisme britannique. Nous en reprenons ci-après l’intégralité, en respectant les mises en évidence (caractères gras) :

« La Ligue d’Éducation Nationale fut fondée par le Baron de Coubertin le 27 octobre 1911, au cours d’une séance solennelle à la Sorbonne, sous la présidence de Monsieur Liard, le recteur d’alors. Elle faisait suite à la Société des Sports Populaires, également création de M. de Coubertin.

La L.E.N. n’est point uniquement une société de scoutisme. Elle poursuit des buts plus généreux.

Ces buts sont nationaux et démocratiques. La Ligue s’inspire, notamment, des doctrines de Léon Bourgeois sur la solidarité sociale. Elle veut le bien de la jeunesse, au triple point de vue moral, physique, intellectuel, cherchant la réalisation de ce programme par tous les moyens qui s’offrent à elle, notamment par le scoutisme.

Le scoutisme est une méthode d’éducation. Rien de plus. C’est du reste largement suffisant. 

Il existait donc, de par le monde, un certain nombre de sociétés de scoutisme, qui s’étaient créées par elles-mêmes.  Les Anglo-Saxons, qui n’avaient aucunement contribué à leur formation, eurent l’idée de les fédérer, poursuivant certaines conceptions, auxquelles nous avons toujours refusé de nous rallier. C’est ainsi que naquit le Bureau de Londres.

Nous recherchons tout ce qu’il peut y avoir de bon dans les autres pays en matière pédagogique et, pour le bien de nos garçons, nous l’importons en France, après l’avoir adapté à notre mentalité. Ses fenêtres sont largement ouvertes, mais nous ne consentons pas à ce que des étrangers se mêlent de nos affaires, surtout en ce qui concerne l’éducation de notre jeunesse. Certains nous reprochent cette attitude. Mais tant pis. Le scoutisme, méthode d’éducation, n’est le monopole de personne et ne saurait présenter le moindre caractère ésotérique.

Nous sommes Français, en France, et charbonnier est maître chez lui.

Nous voulons, donc, le bien des garçons au point de vue moral, physique, intellectuel. Nous inculquons à la jeunesse des idées de tolérance, de bon vouloir réciproque, de bonté, de fraternité. L’idée du devoir. Nous leur apprenons à comprendre le monde par leurs yeux et non au travers des livres ou des doctrines imposés par ordre. Nous leur enseignons à se gouverner eux-mêmes. Chez nous, il faut obéir, mais la discipline y est librement consentie.

La Ligue, au point de vue politique et religieux, n’a pas d’opinion préconçue. Du reste, elle ne s’occupe ni de politique, ni de religion. Elle admet des collaborateurs et des garçons de toute opinion. »

Divergence de vues et opposition de personnes :

Coubertin pose-t-il une bonne question en ce qui concerne le caractère militaire du scoutisme proposé par Nicolas Benoît ? le scoutisme des débuts était-il destiné à apporter aux jeunes garçons une formation « pré-militaire » ? Si l’on en juge d’après la personnalité de deux de ses responsables nationaux, Nicolas Benoît d’une part, le Colonel Royet d’autre part, on peut le penser ; par contre, le pasteur Georges Gallienne, un des créateurs, nous indique très nettement qu’il voulait éviter le « militarisme » …

À partir de ces premières expériences et de cette définition d’un cadre global de fonctionnement, il est important de voir comment le scoutisme s’est implanté sur le territoire. Dès le début, une des caractéristiques principales du scoutisme non confessionnel est l’importance du groupe local, structure d’accueil reposant sur un ensemble de cadres adultes bénévoles, alors que les associations confessionnelles disposent en général de lieu de rattachement, les paroisses, assurant la continuité des activités. Peu de temps après le démarrage du scoutisme à l’âge éclaireur, apparaîtront les prolongements vers les plus jeunes et les plus âgés, avec les Louveteaux et les Routiers. Le groupe local trouvera ainsi la totalité de son rôle, en liaison avec les familles qui participeront souvent à son animation et à sa gestion.

Les suites : Quel scoutisme ?

Les deux associations ont en commun une adaptation française de la proposition initiale, l’ouverture à tous « sans distinction d’origine, de race ou de croyance », c’est-à-dire sans l’obligation religieuse qui semble présente dans les définitions. Cette adaptation ne sera pas acceptée par les deux religions présentes en France.

Les U.C.J.G., Unions Chrétiennes de Jeunes Gens, qui ont mené la plupart des premiers essais de scoutisme, ne les rejoignent pas car « sans l’esprit évangélique, une tentative d’éducation, si noble soit-elle, échouera piteusement » ; elles sont à l’origine de la création des Éclaireurs Unionistes en mai 1912.  

Quant à la hiérarchie catholique, elle refuse le principe même du scoutisme, soupçonné d’être porteur de protestantisme ou de franc-maçonnerie. Cette opposition va être très virulente, comme en attestent quelques articles et dessins de journaux de l’époque. Elle durera jusqu’à ce que quelques catholiques voient dans la proposition du scoutisme une opportunité de développement qui se confirmera, les associations catholiques (Scouts de France à partir de 1921, Guides de France à partir de 1925), devenant les plus importantes du scoutisme français. 

Les Éclaireurs Français de Pierre de Coubertin ont donc, si l’on oublie un peu l’antagonisme des créateurs, une particularité majeure, le refus, évoqué plus haut, de se rattacher à la structure proposée par le scoutisme anglo-saxon. Ce choix aura pour conséquences une concurrence entre les deux associations, recrutant des jeunes dans les mêmes écoles, collèges et lycées ; mais également et peut-être surtout, la non-participation aux rencontres internationales (Jamborees), et la faiblesse du développement de l’association dans un contexte où cette appartenance sera un élément important. Notons quand même qu’il permettra une véritable indépendance dans les choix pédagogiques : les Éclaireurs de France auront, quelques années après, des difficultés avec l’organisation mondiale du mouvement scout (O.M.M.S.) au sujet de l’absence d’obligation religieuse, mais aussi, dans les années 50, du choix de la coéducation : elle sera expérimentée et confirmée par le groupe d’Alger dès 1947, sans besoin d’autorisation extérieure. Dans le même esprit, l’idée de « camps – colonies » apparaîtra à partir de 1955 et conduira à la création du centre de Saint-Clément dans l’Allier.

Le développement en Algérie avant l’aboutissement historique :

Jean-Michel Company, fils du dernier Commissaire général et lui-même ancien responsable national, nous dit : « Il faut savoir que les Éclaireurs Français en Algérie ont pris, après la deuxième guerre mondiale, un essor important et ont dépassé, en nombre et en moyens, les autres associations régionales de métropole. Cet essor s’explique notamment grâce aux moyens financiers dont ils disposaient. En effet, la Fédération Nationale des E.F. n’étant pas inscrite au Scoutisme Français, ne touchait aucune subvention des services de la Jeunesse de l’État. Alors qu’en Algérie, les règles étant différentes, les E.F. étaient subventionnés par les services de la Jeunesse et des Sports au même titre que les autres Fédérations de Scoutisme ».

On peut considérer que les Éclaireurs de France ont, après la disparition en 1914 de Nicolas Benoît et le redémarrage après la première guerre mondiale, évolué dans le sens souhaité par Coubertin. Le sport y aura sa place, à côté des « techniques scoutes », dans les activités dès les années 20 (revues) avec la promotion de l’hébertisme à partir des années 30.

 

L’aboutissement historique, qui a, malheureusement, attendu une cinquantaine d’années, est le regroupement du scoutisme « laïque » en 1964, avec les Éclaireurs de France et la section « neutre » de la Fédération Française des Éclaireuses pour la création du « nouveau Mouvement » : les Éclaireuses & Éclaireurs de France. Le centre « Bel Air »  de Saint-Clément est apporté par les Éclaireurs Français au nouveau Mouvement.

 

Conclusion :

Même si l’association qu’il a créée n’a pas connu un grand succès, Pierre de Coubertin a joué un rôle – important mais mal connu – dans l’installation et l’évolution en France de l’idée de « loisirs éducatifs », avec le scoutisme, à côté et en complément du sport.

Le scoutisme, tel que Pierre de Coubertin l’avait souhaité, propose toujours aux jeunes un ensemble d’activités accompagné de la notion d’engagement et de service. Il est à l’origine d’un certain nombre de prolongements qui en conservent l’esprit, comme le souhaitaient les initiateurs, par exemple pour la coéducation ou les camps-colonies.

L’histoire des Éclaireurs Français fait partie intégrante de l’histoire du scoutisme laïque dans notre pays. Nous sommes heureux de pouvoir, à cette occasion, le rappeler et rendre hommage à son créateur dont l’action dans ce domaine a été longtemps méconnue. 

Références bibliographiques :

  • Revues : Éclaireurs Français, Éclaireurs de France, Éclaireuses & Éclaireurs de France
  • Sites : Éclaireurs Français (n’existe plus), Association pour l’histoire du scoutisme laïque, Réseau B.P., Scoutopedia l’encyclopédie scoute
  • « Les Éclaireurs de France de 1911 à 1951 », Pierre Kergomard et Pierre François
  • « Cent ans de laïcité dans le scoutisme et l’éducation populaire », Yvon Bastide
  • Archives personnelles de Jean-Michel Company (revues et documents E.F.)