2015 : Un peu d'histoire de la coéducation - Il y a cinquante ans...

Sam19Déc201510:23

2015 : Un peu d'histoire de la coéducation

Index de l'article


Le contexte des années d’après-guerre : la place des femmes et des filles
dans la société, origine et évolution

Intervention de Nathalie Duval,

Professeure agrégée et Docteure en Histoire,  Université de Paris-Sorbonne

 

Nathalie Duval et Denise Zwilling qui la présente

 

En 1946, le préambule de la Constitution de la IVème République pose le principe de l’égalité en droit dans tous les domaines, des hommes et des femmes. Il est conforme au précepte de la Charte des Nations Unies publiée le 26 juin 1945. Il respecte aussi l’ordonnance d’Alger qui, en avril 1944, a rendu les femmes françaises électrices et éligibles. Cette pleine égalité des droits politiques et des droits dans tous les domaines entre les deux sexes sera confirmée en 1948 par la Déclaration universelle des droits de l’homme.


Pourtant entre le droit et la réalité, l’écart demeure important jusque dans les années 1970. Perdure notamment dans les mentalités la représentation traditionnelle de la femme telle qu’elle fut établie par le Code civil de 1804. En effet, l’ancien article 213 du Code civil selon lequel « le mari doit protection à sa femme, la femme doit obéissance à son mari » venait seulement d’être modifié, en 1942 : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance ». En quoi les années soixante sont-elles un tournant décisif en faveur de la libération de la femme dans bien des domaines ?


I - Dans les années d’après-guerre : Éloge de la mère au foyer :


Au lendemain de la guerre, les pays industrialisés connaissent un « baby boom » avant de voir leur croissance démographique se ralentir. La France n’échappe pas au mouvement : la reprise de la natalité, débutée dès 1943, s’accentue comme jamais à partir de 1945 et cette explosion nataliste s’achève vers 1954, avec une traîne jusqu’en 1971.

 

Une jeune mère de 1947

 


Image du bonheur familial :

la mère à l ’arrière-plan veille, depuis la cuisine, torchon à la main, sur ses six enfants attablés.

 

 

A. Une politique familiale en direction des mères :


1. Des mesures incitatives :


En 1945, le congé de maternité devient obligatoire ; il est, de plus, indemnisé à hauteur de 50% du salaire et sa durée est augmentée : deux semaines avant l’accouchement et six semaines après. L’instauration de la sécurité sociale en France favorise la politique familiale  tout comme dans les autres pays industrialisés où elle se généralise. L’Etat-Providence bouleverse ainsi l’organisation de la vie privée en assumant une partie de la fonction paternelle au sein du foyer tout en consolidant la représentation de la femme mère, épouse et ménagère.


2. Les images d’une maternité épanouissante :


Les reportages photographiques sur cette course à la natalité se multiplient dans la presse grand public. La maternité y est vantée comme expression du bonheur et de la réussite. Les bébés joufflus posent sur des coussins de velours, figures de l’abondance retrouvée après les années de pénurie pendant la guerre. Les pères sont fiers d’immortaliser  leur progéniture avec leur appareil photo, objet en passe de devenir un bien de consommation courante et signe de réussite sociale. Les familles à deux, trois et quatre enfants se multiplient.


3. La figure emblématique de la fée du logis :


D’abord louée dans l’immédiat après-guerre pour sa participation à reconstruire la France, la mère est la figure emblématique de « la femme des classes moyennes » des années 1950 et 60. Son image est celle d’une femme d’intérieur accomplie et épanouie, heureuse de choyer ses enfants. Il n’est plus question de parler de « ménagère » mais bien de « femme au foyer » : ce glissement sémantique est important dans la mesure où l’image de la ménagère est jugée populaire et trop en prise avec les travaux domestiques jugés peu valorisants. Les campagnes promotionnelles mettent en valeur efficacité, rapidité et propreté des machines et appareils électroménagers qui préservent « la féminité ». Le temps gagné doit permettre de consacrer davantage d’heures aux enfants et au mari.

 

Jours de France, 1958 :

magazine féminin qui met en scène femmes privilégiées et vedettes qui font rêver les moins nanties

 

 

Affiche publicitaire de l’entreprise française en appareils électroménagers

datant de 1962 et à l’origine du célèbre slogan « Moulinex libère la femme »

 

B. L’envers du décor : les réalités :


1. Des maternités non souhaitées :


Des maternités sont subies par de nombreuses femmes qui en réalité ne les souhaitent pas ou plus quand elles deviennent répétitives. Certes la méthode dite Ogino a commencé à se diffuser : il s’agit d’une méthode de contraception naturelle grâce à laquelle l’ovulation est identifiée par la température. Mais c’est un moyen de contrôle des naissances dont les effets sont limités et qui ne parvient pas à empêcher les grossesses non désirées. L’avortement clandestin devient alors un recours pour celles qui s’y risquent. Les plus aisées partent en Angleterre ou en Hollande confier leur sort à des médecins. Les autres tentent l’avortement, seules ou avec une « faiseuse d’ange » en s’exposant aux risques de la stérilité ou de la mort.


2. Le ménage et des journées aux horaires sans limite :


La majorité des mères au foyer accomplissent seules leur ménage, tâche ingrate, lourde en peine et en temps. Considérées par les statisticiens et les politiques  « sans profession », elles ont pourtant des journées aux horaires sans limite et ne bénéficient d’aucune protection sociale. Des femmes renoncent aussi à chercher un emploi dans la mesure où les infrastructures demeurent encore insuffisantes pour accueillir les enfants en bas âge et le coût de leur garde éloignent de nombreuses mères du monde du travail. Celles qui sont salariées, souvent davantage par obligation de compléter le salaire de leur mari que par choix, assument alors seules une double journée de travail, faute d’un partage des tâches au sein du couple. Cette réalité, jointe à la sublimation de la mère de famille, invitent les femmes à souhaiter rester au foyer.

 

 

Photo de Janine Niepce, vers 1955, mettant en scène la famille d’un modeste artisan


3. Des voix discordantes :


Elles remettent en cause le bonheur féminin tant vanté par l’opinion commune et les images médiatisées. Dès 1949, la philosophe Simone de Beauvoir (1908-1986) publie Le Deuxième sexe ; elle y dénonce la condition faite aux femmes comme une aliénation. Elle récuse l’instinct maternel et l’imposition à la maternité. Sans se revendiquer elle-même féministe et sans relier sa pensée au féminisme, elle réfute le déterminisme biologique et le dénonce comme un prétexte à inférioriser les femmes. Son livre est qualifié, par ses adversaires, de pornographique, à cause de la revendication sexuelle qui y est revendiquée par son auteure.

 

La plupart des femmes, à cette époque, se montrent en effet réticentes aux thèses de Simone de Beauvoir. Mais, au cœur des années 1950, un mouvement féministe d’origine protestante et influencé après guerre par la pensée de Sartre et de Beauvoir prend de l’importance : il s’agit du Mouvement Jeunes femmes. Son congrès de 1955 s’élève ainsi contre ce qu’il appelle « l’aliénation domestique des femmes ».


Portrait de Simone de Beauvoir,

l’année de la parution de Le Deuxième sexe en 1949


Le 8 mars 1956, les statuts de l’association « La Maternité Heureuse », sont déposés. Cette association « La Maternité heureuse » est très importante car, sous couvert d’assurer l’équilibre psychologique du couple et de promouvoir la santé des femmes, elle pratique une propagande totalement interdite : revendiquer pour chaque couple, et chaque femme, le droit de contrôler les naissances. Lorsqu’elle est créée, avec le docteur Pierre Simon, la Maternité Heureuse a pour but de prévenir les drames de l’avortement en développant la contraception (qui sera autorisée légalement seulement en 1967). Dans les années qui suivent, des centres d’accueil s’ouvrent dans différentes villes, et en 1960, la Maternité Heureuse devient le « Mouvement Français pour le Planning Familial » (MFPF).

 

Enfin, tous les stéréotypes féminins antérieurs vont être balayés par une véritable bombe sexuelle, symbole d’une féminité renouvelée et moderne : le phénomène B.B.!

 

II - L’échappée belle des femmes :


Brigitte Bardot explose de sensualité et de séduction, en 1956, dans le film de Roger Vadim, Et Dieu créa la femme. Avec son corps jeune et sensuel, porteur d’amoralité et d’irrespect des valeurs traditionnels, elle devient la figure de la femme libre. Ce n’est plus l’image de la femme-objet « sois belle et tais-toi » magnifiquement incarnée par Marylin Monroe mais celle d’une femme sensuelle, libre de disposer de son corps dans la quête du plaisir et non pas de le réserver à la maternité.


A. Le phénomène BB :


1. Une nouvelle silhouette féminine :


Les photographes de plateau et de presse renforcent le phénomène BB et contribuent à en faire un mythe. Les clichés pris dans la rue capturent de maladroits sosies. Les jeunes filles nées du baby boom essaient de ressembler à Bardot avec ses cheveux blonds, sa coiffure en choucroute, ses robes Vichy. L’imitation est favorisée par l’essor du prêt-à-porter. C’est une nouvelle silhouette féminine  qui remplace celle du « New Look » proposée, à partir de 1947, par Dior qui alliait une silhouette inspirée des robes de la Belle Époque et une élégance séductrice, avec un corps à la taille marquée, un jupon très évasé, long jusqu’à mi-mollet. En revanche, avec le phénomène BB, la mode s’adapte, au tournant des années 1950-60, à la nouvelle vie de femmes actives et libres dont elle force même le trait. La naissance de la marque Courrèges en 1961 promeut une femme dynamique, habillée d’une robe écourtée au dessus du genou, de forme trapèze ou d’un tablier, chaussée de trotteurs à talons carrés, peu élevés et aux cheveux courts.

 

 

Affiche du film de Roger Vadim, Et Dieu créa la femme, 1956

 

 

La mode du début des années 1960 :

robes de forme trapèze dévoilant les genoux et souliers trotteurs

 

2. Un conflit de générations :


Quant aux baby-boomers, devenus des jeunes gens et jeunes filles, ils imposent tout particulièrement à partir de 1962, la liberté des années twist. C’est le temps des stars Yéyés, des copains et des copines ; le temps de l’âge tendre et des têtes de bois (nom de la célèbre émission de télé-crochet), du bikini (« rouge à petits pois » chanté par Dalida en 1961), toute une nouvelle génération  qui bouscule le genre et refuse les conventions, au prix d’un conflit avec la génération de ses parents.

 

En opposition aux aînés, la liberté corporelle s’affiche chez les plus jeunes : le port de la mini-jupe à partir de 1962 dévoile les cuisses tandis que les jambes sont désormais habillées par des collants qui démodent bas et porte-jarretelles. Autre facteur de libération de la femme et non des moindres : le travail.

 

 

La mini-jupe sur la Promenade des Anglais, été 1969

 

B. La conquête du marché du travail:


1. Les facteurs qui favorisent la féminisation du travail :


Les filles sont mieux formées d’un point de vue scolaire. La mixité des établissements commence à se généraliser à partir de 1957 dans les écoles primaires. La démocratisation de l’enseignement profite aux filles : prolongement de la scolarité obligatoire en 1959, création des collèges d’enseignement secondaire en 1963. Cette année-là, au baccalauréat, le nombre de filles reçues dépasse pour la première fois celui des garçons. Les bacheliers et bachelières représentent alors un peu plus de 14% de la clase d’âge des élèves nés en 1945. Mais les formations professionnelles restent tournées vers des métiers fortement sexués, ceux réservées aux femmes correspondant aux métiers de vendeuse, coiffeuse, secrétaire, assistante sociale, les métiers autour de la famille et de l’éducation des enfants…

 

Travail en pool de secrétaires-dactylos

qui impose concentration, concurrence et cadences accélérées

 

Néanmoins, les femmes sont de mieux en mieux acceptées sur le marché du travail d’autant que la reconstruction des Trente Glorieuses se heurte à une pénurie de la main d’œuvre. En 1962 : près de 42% des femmes âgées de 25 à 49 ans travaillent. Les mentalités évoluent. L’activité professionnelle féminine cesse d’être une honte pour le conjoint et cesse aussi d’être un simple appoint au salaire du mari même si « la femme qui ne travaille pas » reste la marque d’une réussite sociale, chez les cadres surtout.


Le secteur tertiaire est le grand pourvoyeur d’emplois féminins. La femme au travail est un col blanc et se doit de transposer dans son emploi les qualités liées à sa nature féminine à savoir  douceur, modestie et dévouement sans oublier, autant que faire se peut, la joliesse de ses traits et le soin de sa mise. De façon générale, la tendance est à l’exode rural, la ville attirant les femmes soucieuses de promotion sociale.


Faire carrière semble désormais possible à certaines. A partir de 1945, la prestigieuse École nationale d’administration, dès sa création, admet les femmes pour former les membres des grands corps d’Etat. Des bastions masculins cèdent face à la pression des diplômées du Supérieur : les premières « huissières » apparaissent en 1948, la première femme notaire en 1949 et la première femme Professeur de médecine à la faculté de Paris en 1959 !

 

2. Les conséquences de l’accès des femmes à l’indépendance financière :


Les femmes montent donc dans l’ascenseur social. En trente ans, le modèle de la mère au foyer se démode. Travailler devient pour une femme la norme certes par nécessité économique mais aussi par désir de socialisation et, de plus en plus, d’accomplissement de soi et d’indépendance. Ce maîtremot a des répercussions majeures dans le privé. L’autonomie financière des femmes, malgré des salaires inférieurs aux hommes, bouscule les rapports de sexe voire de force. Les femmes sont de moins en moins prisonnières de leur foyer et, en cas de faillite du couple, demandent davantage le divorce malgré un prix lourd à payer pour les divorcées : la charge des enfants et une double journée de travail.

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La domination masculine finit par être ébranlée jusque sur le plan juridique : la loi du 13 juillet 1965 met fin à l’incapacité juridique des épouses qui peuvent désormais ouvrir un compte en banque et exercer une profession sans l’autorisation de leur conjoint. Quant à la la loi du 4 juin 1970, elle établit l’autorité parentale conjointe : c’est la fin de l’autorité uniquement masculine du chef de famille.

 

 

En 1965, cette femme a désormais le droit et la liberté

de retirer son argent d’un compte bancaire personnel, à son nom propre

 

3. Des citoyennes aux marges de la vie politique :


Pour ce qui est de la vie politique, les femmes jouent un rôle marginal malgré leur plein accès à la citoyenneté depuis 1944. La gouvernance reste très largement masculine. Aux élections législatives de 1946, auréolées de leur action dans la résistance, des femmes entrent, pour la première fois, au Parlement : elles représentent 6% des élus à l’Assemblée et 3,6% au Sénat. La présence d’une femme au gouvernement reste cependant encore exceptionnelle à l’exemple de l’avocate féministe, MRP, Germaine Poinso-Chapuis au gouvernement en 1947 avec le portefeuille de ministre de la Santé publique et de la Population. En 1958, les femmes députées ne sont que 1,5% à l’Assemblée nationale élue après la fondation de la Vème République.


En conclusion, les années 1962-1965 marquent un véritable tournant dans bien des domaines. Les partis politiques notamment, devenus conscients de l’enjeu que représentent les électrices, commencent à s’intéresser aux questions des femmes. À l’approche des élections présidentielles de décembre 1965, les initiatives en leur direction se multiplient. En octobre 1965, est créé par le ministère du travail le comité sur le travail féminin afin d’inciter, par des mesures, les femmes à travailler. En ce même mois d’octobre, une commission, surnommée « commission pilule » est nommée pour étudier les effets secondaires de ce nouveau contraceptif susceptible d’être mis sur le marché. Ainsi, est-ce dans ce contexte décisif où l’on passe de la maternité glorifiée à la contestation de la société patriarcale que se constitue le Mouvement des Éclaireuses et Éclaireurs de France, partisan et promoteur de la coéducation des sexes.


Après s’être spécialisée dans l’histoire de l’éducation nouvelle et des méthodes de pédagogie active, en particulier dans le cadre de sa thèse consacrée à l’École des Roches (publiée chez Belin, 2009, rééd. 2010), Nathalie Duval complète ses recherches sur l’histoire du scoutisme et des mouvements de jeunesse en s’intéressant à l’histoire de la F.F.E. : voir son article  «Le scoutisme pour « sortir de chez elles » : la Fédération Française des Éclaireuses et la promotion féminine (1921-1964) », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, tome 161, 2015, p. 109-133.


Signalons la thèse en cours sur l’histoire de la mixité en France de Geneviève Pezeu, doctorante sous la direction de Rebecca Rogers, à l’université de Paris-Descartes, CERLIS – Centre de recherches sur les liens sociaux, sous le titre : La mixité des sexes dans les établissements du secondaire, de la Première Guerre mondiale jusqu’au début des année soixante en France. Un article de sa composition proposant « Une histoire de la mixité » est lisible sur le site de Les Cahiers pédagogiques, n° 487, février 2011.

Plusieurs photographies illustrant cet article sont extraites de l’ouvrage, « Les femmes en France de 1880 à nos jours », Paris, Éditions du Chêne-Hachette Livre, 2007, de Yannick Ripa que nous remercions.

 

 


 


 





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