1914 : La vie de l'association… et un projet de fusion avec les Éclaireurs Français

Jeu05Nov202018:32

1914 : La vie de l'association… et un projet de fusion avec les Éclaireurs Français

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... malheureusement sans suite... immédiate

 

Le numéro 9 de « l’Éclaireur de France » de juin 1914 présente les effectifs du Mouvement, qui vont atteindre environ 10000 adhérents, avec une indication des nouvelles adhésions qui semblent nombreuses (plus de 600 par mois) si on les rapporte à cet effectif. De nouvelles sections sont enregistrées un peu partout en France et au Maroc, mais on y trouve également un long article intitulé « De la fusion » qui présente un projet de fusion avec les Éclaireurs Français. Le document étant difficile à lire, il nous a semblé utile d’en reprendre ci-après la totalité. Nous lançons une recherche du côté des archives des Éclaireurs Français pour en savoir plus sur cet épisode.

 

1914 EDF 266 CD 1

1914 EDF 266 CD 2

 1914 EDF 266 CD 3

 


 

DE LA FUSION

Dans notre numéro d’avril (page 203), nous avons fait allusion à une importante question dont l’étude nous obligeait à ajourner les modifications et améliorations que nous nous proposions d’apporter à nos règlements et statuts. Il s’agissait d’un projet de fusion entre la Ligue d’Éducation Nationale (Éclaireurs Français) et notre association.

Depuis longtemps déjà des conversations avaient été tenues et des vues échangées entre des amis ou membres de l’une ou l’autre des deux sociétés, désireux de voir se réaliser une union préconisée par beaucoup et hautement désirable dans l’intérêt du scoutisme.

Le 16 mars, à la suite de pourparlers officieux plus précis, le général Coupillaud, président de la Ligue d’Éducation Nationale, répondant aux suggestions et désirs des plusieurs membres des Comités directeurs des deux Associations, écrivait à Monsieur le Docteur Charcot, président des Éclaireurs de France, pour proposer la nomination d’une commission mixte qui serait chargée d’étudier et d’arrêter les bases d’une fusion.

Cette idée ayant été favorablement accueillie, après divers préliminaires, les commissions procédèrent à cette étude dont le rapport ci-après résume les résultats et conclusions.


RAPPORT DE LA COMMISSION CHARGÉE D’ÉTUDIER LES CONDITIONS DANS LESQUELLES IL SERAIT POSSIBLE D’OPÉRER UNE FUSION DES DEUX SOCIÉTÉS : LIGUE D’ÉDUCATION NATIONALE (ÉCLAIREURS FRANÇAIS) ET ASSOCIATION DES ÉCLAIREURS DE FRANCE

La commission mixte de fusion était composée comme il suit :

ÉCLAIREURS FRANÇAIS : MM. Amiral Bayle ; Général Chamoin ; Capitaine de frégate Malo-Lefebvre ; Duvignan de Lanneau ;

ÉCLAIREURS DE FRANCE : MM. Kleine ; Dufresne ; Lefebvre-Dibon ; Lieutenant de Vaisseau Benoit,

S’est réunie au siège social de la Ligue Maritime les 26 mars, 3 avril, 27 avril, 8 mai.

Les procès-verbaux de ces séances sont annexés au présent rapport ; à la troisième séance, les présidents, secrétaires généraux et conseillers techniques des deux associations ont été admis à présenter leurs observations à la Commission. La quatrième séance a été tenue, à titre supplémentaire, en raison des oppositions qui se sont produites au sein du Comité de la Ligue d’Éducation Nationale, lorsque les conclusions auxquelles était arrivée la Commission, à la majorité des voix, ont été développées devant lui.

À la suite des ces longues délibérations, la Commission est enfin arrivée à se mettre d’accord, à l’unanimité des voix, sur les conditions dans lesquelles la fusion des deux sociétés lui paraîtra possible.

Quel que soit l’accueil réservé à ces conclusions, la Commission estime que sa mission est absolument terminée, car elle est persuadée que la question qu’elle était chargée de solutionner est entièrement épuisée et qu’il faut, de part et d’autre, accepter les conditions adoptées ci-dessous ou renoncer à la fusion.  

Ces conditions sont les suivantes :

1°- La Ligue d’Éducation Nationale (Éclaireurs Français) et l’Association des Éclaireurs de France fusionneront en une seule Association dont le nom sera Ligue des Éclaireurs de France ;
Les appellations Ligue d’Éducation Nationale, Éclaireurs Français et Association des Éclaireurs de France deviendront la propriété de la nouvelle Association et ne pourront par conséquent être employées par aucune organisation similaire ;

2°- L’insigne de la nouvelle association sera l’insigne actuel des Éclaireurs de France. L’insigne des Éclaireurs Français sera utilisé pour former un insigne spécial destiné à récompenser les actes de courage ;

3°- Le principe du serment sera admis, et une commission composée de MM. Morlet et capitaine Fabre d’une part, et de MM. Le lieutenant de vaisseau Benoit et le capitaine Royet d’autre part, sera chargée d’étudier les modifications et perfectionnements à apporter aux codes existants, qui sont d’ailleurs très sensiblement les mêmes, ainsi qu’à la formule du serment, en vue d’arriver à une forme définitive ;

4°- L’organe officiel de la nouvelle Association sera dénommé « L’Éclaireur de France ». La direction continuera à être confiée à M. Charpentier.

Le titre du journal dénommé « L’Éclaireur Français » deviendra la propriété de la nouvelle Association ;

5°- Jusqu’à nouvel ordre et au plus tard jusqu’au 1er janvier 1915 le siège social et les bureaux de la nouvelle association seront 146, rue Montmartre ;

6°- Le président de la nouvelle association sera le docteur Charcot ;

7°- Le bureau de la nouvelle association sera ainsi composé :

Président : M. le docteur Charcot

Vice-Présidents : MM. Le Vice-amiral Bayle, Dufrenne,

Secrétaire général : M. Charpentier,

Trésorier : M. André

MM. les capitaines Fabre et Royet seront adjoints au bureau comme conseillers techniques.

M. le général Coupillaud et M. Chéradame seront nommés présidents honoraires de la nouvelle Association.

Le Comité de Patronage de la nouvelle Association sera formé par la fusion des deux comités de patronage des Associations primitives.

Provisoirement, jusqu’à la fin de septembre, les comités des associations primitives continueront à exister côte à côte, formant par leur ensemble un comité directeur unique.

Jusqu’à cette même époque, le bureau, composé comme il a été dit ci-dessus, aura tout pouvoir pour diriger l’Association, et n’aura recours au Comité directeur provisoire que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, et sera d’ailleurs juge d’apprécier l’opportunité de cette réunion du Comité ;

8°- Avant la fin de septembre, le bureau devra provoquer une réunion du Comité provisoire.

À cette réunion, chacun des deux groupes Éclaireurs de France et Éclaireurs Français choisira dans son sein, le premier 10 membres, le second 5 membres qui, avec les 5 membres du bureau, constitueront un noyau de 20 membres. Ce noyau se complètera au chiffre qu’il jugera convenable pour former le comité définitif.

À cette même époque, M. Charpentier quittera les fonctions de secrétaire général et sera remplacé par une personne au choix du nouveau Comité. Tous les autres membres du bureau indiqués ci-dessus resteront en fonction au moins jusqu’au 1er janvier 1916.

La commission tient à faire remarquer en terminant qu’elle avait pour mission d’effectuer une fusion entre les deux Associations et qu’elle avait par suite à se préoccuper, tout en sauvegardant les intérêts et la dignité de chacune des deux Associations actuelles, d’assurer avant tout la bonne marche de l’Association nouvelle devant les remplacer.

Cette bonne marche ne peut être assurée, à son avis, que par l’établissement d’un pouvoir central fort, dirigeant l’Association avec une netteté et une continuité de vues bien réelles, et évidentes pour tous.

Le Président de la Commission mixte,

Ct Malo-Lefebvre

Le secrétaire de la Commission mixte,

Augustin Dufrenne.

 

Il restait alors à soumettre ce projet, d’abord aux Comités directeurs, puis à une Assemblée générale de chacune des deux Associations.

Nous n’eûmes pas, en ce qui nous concerne, à provoquer l’Assemblée générale que nous nous étions tout d’abord proposé de tenir.


En effet, d’une part, notre Comité directeur, réuni le 16 mai pour recevoir communication du projet, – après lecture du rapport et examen approfondi de la situation, prenant en considération les observations émises par plusieurs de ses membres et par certains groupes de province, et n’ignorant pas enfin que le projet rencontrait de vives oppositions au sein de la Ligne d’Éducation Nationale où paraissait régner un certain désaccord, – s’arrêtait à la résolution suivante, votée à l’unanimité des membres présents, et qui fut portée à la connaissance du président de la commission mixte de fusion :

Le Comité directeur ayant pris connaissance avec le plus grand intérêt des dispositions arrêtées par la Commission mixte chargée de préparer le projet de fusion entre la Ligue d’Éducation Nationale (Éclaireurs Français) et l’Association des Éclaireurs de France, rend hommage au zèle et à l’esprit de conciliation que les commissaires ont apporté dans l’accomplissement de leur mission et les prie d’agréer tous leurs remerciements. Mais il estime que toute décision est absolument impossible tant qu’il n’a pas été statué sur les résolutions à prendre à l’égard des personnes qui ont été exclues ou qui se sont séparées de l’une ou l’autre association.

D’autre part, nous étions informés que l’Assemblée générale de la Ligue d’Éducation Nationale du 17 mai, assez troublée, n’avait pu prendre de décision nette et précise.

Puis nous apprenons successivement les démissions de MM. Le général Coupillaud, président de la Ligue d’éducation nationale, de M. le vice-amiral Bayle, vice-président depuis la fondation, de M. le général Chamain, président du comité parisien des Éclaireurs Français, de M. Jacques André, secrétaire du même comité, de M. le capitaine Fabre, conseiller technique de la Ligue d’Éducation Nationale, de MM. Duvignau de Lanneau, Martrées, Rémilly, Pitet, etc. toutes personnalités de la Ligue d’Éducation Nationale pour lesquelles nous professons la plus grande estime.

Dans ces conditions, sans réponse de la Ligue d’Éducation, et voyant se détacher d’elle ses meilleurs collaborateurs, nous nous décidâmes à abandonner l’idée de la fusion et à laisser tomber le projet.

Nous tenons à en exprimer ici nos regrets à M. le général Coupillaud et aux membres de la commission de la Ligue d’Éducation Nationale en leur adressant l’hommage de notre gratitude pour leurs efforts.


 

Nous aurons du moins la joie de constater que ces efforts n’auront pas été complètement perdus. L’union souhaitée est en train de se réaliser, en particulier, sous une autre forme, peut-être plus heureuse. Nous avons reçu en effet, le 27 mai, la lettre suivante du comité provisoire parisien des Éclaireurs Français, dont le président est M. le général Chamoin :

Monsieur le Dr Charcot,

Président de l’Association des Éclaireurs de France,

146, rue Montmartre, Paris

 

J’ai l’honneur de vous informer qu’à la suite d’incidents survenus à la Ligue d’Éducation Nationale, et qui ont motivé la démission irrévocable de notre sympathique Président, M. le général Coupillaud, le Comité provisoire parisien, réuni en assemblée générale, a décidé à l’unanimité de ne plus donner son adhésion aux Éclaireurs Français, Ligue d’éducation nationale, et a prononcé sa dissolution.

Par un vote auquel ont pris part tous les chefs de troupe et un certain nombre d’Éclaireurs, l’unanimité des voix a exprimé le désir de passer à l’Association des Éclaireurs de France, dirigée avec une largeur d’esprit et une noblesse de sentiments auxquelles il a été rendu hommage.

J’ai donc l’honneur de solliciter de votre bienveillance, Monsieur le Président, l’admission dans votre Association de la troupe réunie sous les ordres de MM. Pitet et Menière et composée des quatre groupes suivants…

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

Le Secrétaire Général,

J. André

Nous avons accueilli cette adhésion qui nous honore avec une grande satisfaction et nous nous félicitons de voir venir aux Éclaireurs de France une troupe que nous savons excellente et supérieurement dirigée, et qui comprend les groupes du Lycée Buffon, de l’École Alsacienne, du XIXe arrondissement et de Paris Rive Gauche.

Nous croyons savoir que cet exemple sera suivi par d’autres, auxquels nous exprimons par avance, en même temps qu’au groupe parisien, nos vœux de bienvenue et nos sentiments de sympathie.

Ajoutons qu’au cours d’une nouvelle assemblée générale tenue par la Ligue d’Éducation Nationale le 10 juin, le désaccord qui s’était produit au sein des Éclaireurs Français s’est encore accentué. Quelques chefs de troupe de Paris ont provoqué le départ des membres du comité qui n’avaient pas encore donné leur démission et ont constitué séance tenante un nouveau comité provisoire de la Ligue. En présence de cette situation, nous ne pouvions que renoncer complètement et officiellement à la fusion. En conséquence, le Comité directeur des Éclaireurs de France réuni le 11 juin a ratifié la décision proposée par son bureau et décidé d’abandonner complètement le projet de fusion.

Pour terminer, annonçons l’adhésion aux Éclaireurs de France de plusieurs des personnalités qui viennent de se séparer de la Ligue d’Éducation Nationale, notamment celle de M. le capitaine Fabre, conseiller technique, dont la collaboration nous sera particulièrement précieuse.

Et maintenant que cette question de la fusion ne nous arrête plus, maintenant que de nouveaux concours et de nouveaux dévouements sont venus à nous, nous allons pouvoir entrer dans la voie des améliorations que nous nous étions tracée et donner satisfaction à tous en élargissant et perfectionnant notre programme, nos statuts, nos règlements, et en abordant enfin l’étude de diverses questions et la mise en application de nombreux projets trop longtemps ajournés.

 


 

Ce document est très intéressant et pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, la création de deux associations différentes de scoutisme « ouvert à tous », en 1911, a été due, essentiellement, aux divergences de vues des deux créateurs, Pierre de Coubertin pour les E.F. et Nicolas Benoît pour les E.D.F., aussi bien sur les principes que sur les modalités. On en trouvera la trace dans les lettres de Nicolas Benoît à Chéradame retrouvées par notre ami Guy Wilmes. Si Nicolas Benoît participe, deux ans et demi après cette création, à la commission chargée de préparer la fusion, on ne retrouve pas Coubertin dans ce projet.

Un point important : l’allusion au « serment » au début du projet d’accord, en préalable à « l’amélioration des codes existants ». La fiche Scoutopedia indique que Pierre de Coubertin n’avait pas adopté le principe de la promesse proposé par B.P., cet accord correspondrait donc à une modification de doctrine de la part des E.F.. À noter qu’aucun autre point (notamment la conception de la laïcité) n’est évoqué dans ce document.

Deuxième aspect, la prédominance des Éclaireurs de France semble nette dans le projet d’accord sur la plupart des points évoqués (dénomination – il ne reste plus que le terme de ligue – insigne, ce sera celui des E.D.F. et le Gaulois cher aux E.F. sera cantonné dans une décoration, revue, siège, présidence…). On peut y voir, de la part des représentants des E.F., une prise de conscience d’une situation de concurrence difficile à assurer, surtout dans une période où les événements vont imposer l’union de tous dans le péril.

Troisième aspect, l’accueil de ce projet dans le cadre des E.F., qui laisse penser que leurs représentants se sont beaucoup avancé dans leurs acceptations – ou qu’ils n’étaient pas vraiment représentatifs de la majorité de leur association – : les réactions notées lors de leur A.G. ont provoqué, non seulement une absence de réponse aux E.D.F., mais aussi, et surtout, la démission de personnalités importantes, dont leurs principaux représentants à la commission mixte. Les remarques formulées par le C.D. des E.D.F. sur les suites à donner aux exclusions confirment apparemment l’existence de conflits locaux qui ont peut-être provoqué les réactions négatives de « certains groupes de province ».

Enfin, les responsables parisiens des E.F. choisissent immédiatement d’en démissionner et de rejoindre les E.D.F. ; il faudra attendre cinquante ans pour que leurs collègues fassent de même, mais le conflit n’était pas terminé : lors de la création du « nouveau Mouvement » en 1964, un certain nombre de groupes E.F. (Paris, Vincennes, Limoges, Provence…) refuseront la « fusion » et rejoindront diverses associations dissidentes.    

 

Dernières remarques :

-   les militaires sont vraiment très présents dans les organes dirigeants des deux associations ; on peut se demander quels conseils « techniques » peuvent être apportés à un scoutisme toujours débutant ?

-   le style des rapports et des échanges épistolaires est très… respectueux.

  

          

  

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