1919 : Vers un nouveau départ ... - Correspondance

Jeu15Avr201017:40

1919 : Vers un nouveau départ ...

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Extraits de la correspondance de Pierre François

Dominique François nous a communiqué, en même temps que les "portraits" présentés par ailleurs, quelques extraits de la correspondance échangée entre Pierre et son épouse Elisabeth, où il est question des E.D.F.

Ces documents nous ont paru intéressants pour décrire la réalité de l'action d'un responsable national, ses responsabilités, ses interventions, ses relations... et sa perception de certaines situations.

Les notes de commentaires, en italiques, ont été rédigées par Dominique François

1930 - 1933

Lettre d'Elisabeth du 8 mars (1930 ?)

"Hier soir soirée familiale donnée par les Routiers. (A la Maison pour Tous rue Mouffetard). Ils font des progrès en tout. Ils ont joué une pièce de Carizet "Marinerie", étude de mœurs de marins. Très drôle et bien jouée; Rigault et Boyer acteurs très en progrès."

Lettre de Pierre du 2 mars 1931 de Strasbourg

(Pierre débute dans l'industrie, mais il est question de le nommer Commissaire Fédéral Adjoint)

"Je pense à la situation aux Éclaireurs avec un certain effroi. J'ai reçu une lettre de Dubois. Il dit: "Par contre je te verrais beaucoup moins t'occuper de la Fédération, surtout pour seconder Vieux Castor. C'est là un poste difficile à remplir ; il y faut beaucoup de souplesse, une supériorité qui s'impose immédiatement et sans effort et enfin le travail y est certainement moins intéressant parce que trop dispersé." C'est un avis qui compte."

Lettre de Pierre du 9 mars 1931 de Strasbourg

"Tu es donc bien de mon avis lorsque tu trouves déplorables les cloisons qui existent entre les différents mouvements de scoutisme. Et je crois que nous pourrons entreprendre quelque chose pour les démolir. À ce compte, le Cercle Interfédéral de Strasbourg donne de bons résultats. Je constate effectivement la création d'une atmosphère de grande et réelle sympathie entre tous ses membres.

Je crois que nous pourrions réaliser quelque chose d'un peu analogue à Paris. Il s'agirait de rechercher dans chaque mouvement (EDF, EU, SDF, FFE, Guides) un certain nombre de chefs ayant de l'influence dans leur mouvement respectif et de les réunir périodiquement chez nous afin :

1° d'établir de premiers liens interfédéraux dans le sens le plus mixte du mot,

2° de connaître nos méthodes et nos expériences respectives,

3° de rechercher toutes les possibilités d'actions communes,

4° de travailler à la constitution d'un milieu, même d'une nouvelle classe sociale qui n'aurait rien d'une classe sociale, qui démolirait le principe de classes sociales : le milieu scout qui doit exister avec plus de force que la bourgeoisie, petite bourgeoisie, prolétariat, aristocratie, etc... Peut-être ce projet te semble-t-il un peu fumeux. Nous le mettrons au clair. (Ils ont 25 ans!)

(Finalement, Pierre François accepte bien de devenir Commissaire Fédéral Adjoint).

Lettre de Pierre (janvier 1932) de Corse (Il y a beaucoup de lettres décrivant une tournée en Corse en janvier 1932 pour y créer des meutes et des troupes. Celle-ci constitue un exemple de ce travail associant visites aux autorités, propagande et sorties sur le terrain.)

"La Directrice du cours complémentaire veut fonder une troupe d'Éclaireuses, mais (...) ce n'est pas mon affaire. Je l'ai renvoyée à Madame Benielli qui elle-même la mettra en rapport avec vos sévères autorités.

Les deux autres institutrices vont créer une meute de Louveteaux avec d'autant plus de chance de succès que nous avons une bonne cheftaine dans le Cap Corse qui pourra venir à Bastia former les débutantes.

Pour les hommes, l'enthousiasme n'a fait que les amener à vouloir fonder un Comité sous l'impulsion de l'ardent Proviseur. Toutefois, le Directeur du cours complémentaire va essayer de créer et de diriger lui-même un petit groupe de son école. Mais ces Messieurs, voulant à tout prix faire quelque chose, m'ont indiqué quelques grands élèves du lycée susceptibles de se convertir. De fait, dimanche après midi j'en ai emmené sept en sortie et le soir on pouvait dire que la troupe était fondée.

J'ai trouvé un élève de philosophie de 18 ans, plein de sérieux et de flamme qui pourra très bien prendre la responsabilité d'une petite troupe. Le matin, dans le bureau du Proviseur et avec le concours de son verbe chaleureux, nous avons essayé de persuader un jeune surveillant qui a l'air sympathique. Il demande à réfléchir. Pour l'aider dans cet exercice, je lui ai laissé le Baden Powell. De toute façon il y a un tel appui du Proviseur et des instituteurs, et je suis sûr que le Comité pourra faire du bon travail, que je n'ai pas hésité de donner le départ à mon jeune philosophe aidé de ses camarades.

Je laisse donc à Bastia la certitude d'une meute, d'une troupe et d'un Comité. Pourvu que ça doure! comme dirait la mère de Napoléon qui avait trouvé le mot le plus adéquat à la Corse et aux Corses."

Lettre de Pierre du 4 février 1932 de Draguignan

"À Draguignan je n'ai pas perdu mon temps. Visite au Directeur de l'Ecole Normale, une crème d'homme, EDFophile, réunion avec les huit normaliens Éclaireurs, visite au directeur du collège, un sinistre raseur, imbécile, qui ne comprend rien et m'a fatigué de discours insipides, enfin causerie avec projection aux élèves de l'E.N..

La ville est riche d'une bonne petite troupe et d'une grosse meute qui marche à merveille. De plus en plus je suis persuadé que la formule d'exploitation des élèves d'E.N. est parfaite ; elle a en tout cas un excellent rendement. J'ai déjeuné au réfectoire avec les normaliens et suis parti tout de suite en auto particulière pour Lorgnes à 13 km de là, un gros bourg dans un pays magnifique, où le surveillant général de l'E.P.S. un brave vieillard de cinquante ans (!) entretient avec conviction et courage mais sans succès une petite troupe d'Éclaireurs. J'ai fait une causerie aux élèves de l'École puis un petit bout de réunion avec les Éclaireurs et enfin des démarches pour trouver deux cheftaines afin de créer une meute de Louveteaux. Je les ai trouvées et la meute va partir. Il ne manquera plus qu'un jeune assistant pour le courageux vieillard. On fera nommer un jeune instituteur."

Lettre de Pierre du 1er mai 1932 de Nantes

"L'École (Normale de Savenay) est magnifiquement installée avec de beaux jardins, des tennis, un stade, un Directeur jeune et sympathique. Ça a très bien marché. Les élèves sont emballés. Feu de paille naturellement, mais je suis certain que quelques-uns d'entre eux, à voir leur tête et leurs yeux, vont devenir de fervents Éclaireurs. Encore une bonne position de conquise! Je vais y envoyer Bierry le plus tôt possible pour leur faire faire une sortie."

(De nombreuses lettres décrivent le même genre d'accueil dans des écoles et le succès du recrutement dans les E.N.).

Lettre de Pierre du 14 décembre 1932 d'Avranches

"(À Coutances) J'y ai retrouvé Villain, l'inspecteur primaire, qui n'a pas arrêté de chanter des chants scouts en pleine rue et de nous expliquer un jeu très simple qu'il croyait avoir inventé. Découvrir le scoutisme à 51 ans, c'est beau comme tout, c'est touchant! M'attendait également le chef local Vion, un calicot, un brave type. J'avais très peur de ce que j'allais trouver. Or, j'ai pu constater qu'il avait bien compris le scoutisme et qu'il s'y donnait avec enthousiasme. On pourrait en trouver la preuve dans le fait qu'il porte le costume scout sans souci de la curiosité, des racontars des Coutançais, gens d'outre-tombe."

(Une tournée en 1933 dans la région de Rodez est bien plus décevante).

Lettre de Pierre du 12 mai 1933 de Rodez

"Ma tournée n'est pas très satisfaisante. Il faut dire aussi que ce pays perdu est bien difficile à travailler. Ce sont de toutes petites villes où l'on ne reste pas ; les groupes créés s'écroulent un ou deux ans après, au départ du chef."

(De nombreuses lettres décrivent des tournées de propagande dans diverses régions de France avec les habituelles rencontres dans les E.N. et les causeries, y compris à des gendarmes, et la projection du film "À cœur joie".)

1933 : le Jamboree de Gödölö en Hongrie

Lettre de Pierre du 4 août 1933

Le camp français est installé sur le point culminant du camp, donc au sec mais au vent (c'est effrayant quand il souffle!). Un grand plateau autour duquel se trouvent les camps SDF, EU, EDF. Ce dernier est spécialement bien monté.

Les Algériens et Cie pour se racheter de leurs péchés ont monté une grande mosquée qui domine tout le camp. Tu peux penser la colère des SDF et des chanoines qui ont réclamé ; comme ils voyaient qu'on ne démolissait pas la mosquée, ils ont immédiatement érigé en face une immense croix ! D'un côté, on a un type d'architecture, de l'autre un symbole reli-gieux. Drôle d'esprit.

À part cela les relations sont vraiment excellentes et fraternelles. L'esprit dans l'ensemble est bon. En deux jours tout le monde a fait un travail considérable pour présenter un camp à peu près potable. Les routiers EDF de Dijon qui avaient à monter la porte monumentale du camp ont fourni un effort fantastique, travaillant de 7h du matin à 10h du soir sans arrêt. Et avec cela le monument n'est pas achevé.

L'ambassadeur de France est venu cet après-midi. Trois minutes avant son arrivée nous étions encore en train de pein-dre, de planter des clous etc... La visite a été très réussie. Visite de 25 camps! J'étais couvert de barbe et je me cachais.

Les Hongrois sont très bien, très hospitaliers. Ils ressemblent un peu aux Français car, à côté d'une organisation générale parfaite, ils se livrent à pas mal d'improvisations qui font un peu pagaye. C'est plus charmant ainsi. Ils sont fanatiques de musique ou plutôt de fanfares. Cela n'arrête pas de toute la journée. On en a mal aux oreilles.

Les feux de camp monstres où les numéros se produisent sur une estrade sont très bien réussis. Il y a des orchestres tziganes avec des danses en costumes magnifiques. C'est merveilleux. L'autre jour, ouverture du camp dans une arène très ventée où nous avons gelé pendant 2h30 avant le défilé devant B.P. et le régent Horthy. Le défilé avec profusion de drapeaux fut assez joli. Charge impressionnante à la fin. B.P. se fait vieux."

 

Lettre de Pierre du 8 août 1933

"Hier corvée : thé à l'ambassade de France avec 60 garçons du camp. Spectacle comique : ces soixante boy-scouts bai-sant la main de l'ambassadrice. Pauvre Madame !

Hier soir grand feu de camp, en présence du régent Horthy. Ce fut beaucoup moins bien que les autres feux de camp. Trop guindé. Les Français ont donné de jolies danses bretonnes en costume (EDF) et des chants bien enlevés par une chorale interfédérale dirigée par Chailley de l'Alauda. Il manquait les admirables danses hongroises dont nous avons des spécimens chaque fois plus beaux à chaque feu de camp. Quels costumes ! Aujourd'hui Oncle Bob (Robert Laffite qui dirigeait le camp français) est parti pour la journée ...

Comme j'étais de service, je me suis retrouvé du même coup chef du camp français. Je pensais que tout irait calmement. Or, à 9 h ce matin, on m'apprend que le régent Horthy visiterait le camp français dans une demi-heure. Branle-bas. Je crois l'avoir honorablement reçu. C'était très drôle. J'ai présenté les trois chefs de camp et nous avons commencé le petit tour. Les grosses huiles SDF râlaient de ne pas avoir été au premier plan...... Il y a un gros public dans le camp. Tout le monde se dirige vers la mosquée qui est vraiment d'un bien joli effet. La croix monumentale des SDF, bien qu'illuminée la nuit, intéresse moins le public."

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