1998 : Quelques jeunes (?) anciens racontent leur parcours à de plus anciens : - Jean Estève

Ven02Oct202019:05

1998 : Quelques jeunes (?) anciens racontent leur parcours à de plus anciens :

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Jean Estève

Si vous le voulez bien, nous abordons tout de suite les questions dont je suis chargé de vous parler ce soir, c’est-à-dire une histoire, un survol objectif oui, mais non sans subjectivité, de l’histoire du Mouvement dans les temps où je me trouvais avoir ce qu’on appelait pompeusement les responsabilités nationales.

La branche Éclaireurs

Donc, tout de suite après la guerre, Pierre François m’engage en 45, me faisant rater à jamais une carrière universitaire, mais enfin bon… Il m’invite à pendre place au sein du Commissariat national comme adjoint au Commissaire national à la branche éclaireurs, puis, après quelques temps, comme Commissaire national à part entière. Pour la branche, avec, en plus, quelques responsabilités du côté de l’international.

Ceci m’a permis, donc, de 45 à 51, de vivre très intensément la vie du Mouvement. Je voudrais (…) signaler quelques événements à rappeler, quelques-uns de ces événements qui, je crois, ont une signification particulièrement intéressante.

En 46, côté branche Éclaireurs, congrès national de chefs de patrouilles. C’est-à-dire idée de réunir ces garçons qui avaient la responsabilité d’une patrouille, 7 ou 8 camarades, et de leur demander leur avis, de les faire travailler sur ce qui les intéressait. À signaler, (… ) qu’un des groupes de travail (activités possibles, techniques, brevets, etc.) a sorti une motion en faveur de la coéducation. En 1946, des chefs de patrouilles, tous mâles, réunis au Camp des Loges sous la très honorable présidence du Président des E.D.F., directeur du second degré Gustave Monod et du général De Lattre de Tassigny, disent… pourquoi pas des activités avec les filles, il faudrait voir ça, etc. Pour l’heure d’ailleurs la motion n’est pas allée plus loin, mais je crois qu’il est intéressant de signaler ce fait.

En 47, le Jamboree, rencontre de l’international pour des jeunes Français qui étaient restés extrêmement confinés à l’intérieur ou à proximité des frontières françaises. (…). Ce fut une véritable explosion, ce fut un événement extrêmement important : avoir vu la Mappemonde, dans le grand stade du Jam, portée par les bras des garçons, c’est un souvenir qui reste et qui marque l’importance que peut prendre la jeunesse dans l’histoire du monde.

Une période d’ouverture

Cet événement est suivi, pour les E.D.F., par l’adoption de nouveaux statuts, avec apparition de la laïcité. Jusque-là, les E.D.F. étaient « ouverts à tous, sans distinction d’origine, de race ou de croyance ». L’association devient « laïque comme l’école publique ». (…). Ce fut un tournant important, qui correspondait, dans l’histoire du Mouvement – un mouvement, c’est quelque chose qui bouge – à une ouverture considérable, amorcée pendant la guerre, quelquefois pour des raisons toutes techniques, avec la création d’organismes nouveaux, comme les Francas. (…) ou l’Union Nationale des Centres de Montagne (U.N.C.M.) : (…) ce fut un des problèmes du Mouvement car, dans cette création, dans cette ouverture, dans cette mutation, nous avons finalement perdu des hommes et des femmes, nous avons perdu des responsables de qualité. (Également l’UFOVAL, ajoute Cascade). (…)

À la fin des années 40, les crédits de la nation étaient entièrement pris par la reconstruction des voies ferrées, des immeubles, (…) l’aide aux Mouvements de jeunesse a connu une décroissance considérable ; nous vivions tous, ou presque, regroupés à la Chaussée d’Antin car il n’y avait plus de loyer à payer, alors on pouvait faire vivre un peu mieux, ou moins mal, femme et enfants, avec des salaires minables. Lorsque je me suis trouvé, en 51, professeur du second degré à Tunis, (…) j’ai eu le sentiment qu’enfin j’étais riche ! (…)

Ça donc été une période d’ouverture très large du Mouvement, quitte à ce que ça se traduise par une certaine déperdition des forces ; ça a été une période d’initiatives, de recherches, on a beaucoup parlé alors de techniques nouvelles, on n’était pas obligé de pratiquer dans les camps ce qui était pratiqué auparavant…

L’apparition d‘une technique comme le Froissartage, par exemple, a eu une importance certaine ; très peu pratiqué avant-guerre, les brêlages avaient dominé dans l’équipement des camps. Tout ceci, ces découvertes, ce souci de faire neuf, était extrêmement important. Je me souviens avoir travaillé avec des jeunes E.D.F. sur des postes à galène ; remarquez, c'était désuet déjà, mais nous commencions par là.

Cette ouverture s’est traduite sur un point particulier, celui de la coéducation, et les difficultés que nous avons connues alors avec la branche Neutre de la F.F.E., puisqu’il y a eu accord d’un certain nombre de responsables, désaccord des autres, et sans doute ceci, on me permettra de le dire, dû à une certaine maladresse de notre part. Enfin ce fut ainsi… J’ai dû alors quitter le Mouvement et j’ai suivi ce qui s‘est passé de 51 à 60 comme responsable provincial de Tunisie, car il y avait la province Tunisie et nous y avons fait un travail d’Éclaireurs de France, avec nos camps-écoles préparatoires, nos responsables allaient à Cappy, je suivais le mouvement en tant que responsable local.

L’international

Par ailleurs, mes actions, mes responsabilités et les contacts que Pierre François m’avait confiés sur le plan international, restaient dans cet esprit d’ouverture qui a été celui du Mouvement, et je crois que, sur le plan international, il importe de le souligner.

Le Mouvement E.D.F. avait des sections dans tout l’Empire Français. Une exception toutefois : depuis avant la guerre, Vieux Castor, s’étant rendu en visite en Indochine, en était revenu avec la conviction qu’il était nécessaire de créer une fédération particulière de scoutisme indochinois. Les E.D.F. d’Indochine étaient devenus des Éclaireurs Indochinois. Et ceci avant la guerre, pas la guerre d’Indochine, avant la seconde guerre mondiale, avant 39 !

Lorsque les travailleurs indochinois sont arrivés en France, (parce qu’on avait le service du travail obligatoire, on l’appellera comme on voudra, on avait amené pas mal de travailleurs indochinois pour remplacer dans les usines les Français mobilisés) les contacts se sont établis avec les E.D.F. et ce n’est pas tout à fait par hasard que, à Montpellier, un garçon indochinois qui a fait preuve de qualités tout à fait remarquables a eu un très bon contact avec les E.D.F. de cette ville ; ce garçon s’appelait Giap, je ne sais pas si ça vous dit quelque chose (rires dans la salle).

Cette action d‘éducation en outre-mer était entreprise depuis longtemps. Récemment nous avons perdu, dans la région PACA où il était revenu, notre camarade Matalon qui a joué, à l’École Normale d’Instituteurs de Saint-Louis du Sénégal, un rôle décisif dans la formation d‘élites africaines, au Sénégal et dans l’Afrique Occidentale Française. Je me souviens être allé faire un camp-école et une tournée en Afrique Équatoriale Française vers 49, notre souci était de former des responsables locaux. Et quand je parle des responsables locaux, ce n’était pas que les instituteurs expatriés. Il y en avait, et c’était bien eux qui avaient apporté le Mouvement pour une bonne part, mais c’était les « indigènes », comme on disait alors. Le camp-école que j’ai dirigé en pays Bamiléké était, à mon exception près, pratiquement « noir ».

Ça ne nous a pas empêchés de conserver et de développer tout un Mouvement outre-mer, qui a joué un rôle important lorsque, plus tard, ces pays ont accédé à l’indépendance, dans des conditions fort diverses et quelquefois peut-être pas très favorables, on peut en parler (…) – mais le Mouvement n’y est pas directement mêlé…  

Cet aspect de l’action outre-mer des E.D.F. dans l’immédiat après-guerre ne peut pas être passé sous silence ni être négligé, pas plus, vous me permettez d’en dire un mot encore, je suis peut-être un peu long, qu’un autre aspect, en pleine « guerre froide ». Notre souci était de garder quelques contacts au-delà de ce que Churchill appelait le rideau de fer. Je me rappelle être allé faire, avec d’ailleurs deux autres responsables du Scoutisme Français, une visite aux scouts hongrois, parce que la Hongrie était dans la zone soviétique mais n’était pas encore entrée dans le régime communiste. De même, nous avons gardé des contacts avec le scoutisme tchèque ce qui, avant le coup de Prague, était encore possible. Il y a eu là un rôle particulier du scoutisme E.D.F. qui nous a mis quelquefois dans une situation très difficile : je me souviens d’une réunion à Kaarstad du comité européen ! Nous étions en face des Britanniques, extrêmement liés aux U.S.A. et qui trouvaient à la limite que c’était de la trahison dans cette situation de guerre froide. Or nous pensions que, même de l’autre côté, c’était nos frères, de Hongrie ou de Tchécoslovaquie. Quel besoin avions-nous, nous E.D.F., à jeter le trouble dans le scoutisme mondial, en prétendant garder ces contacts ?

Je crois que c’est là une période historique qu’il n’est pas facile de reconstituer, même mentalement. Mais le rôle du Mouvement à ce moment-là , s’il n’a pas été décisif, n’a pas été négligeable.

La suite : un nouveau Mouvement

Paisible proviseur d’un lycée de province, je me suis vu assailli successivement par des personnalités du Mouvement, venues tenter de me persuader – me persuader n’a pas été trop difficile, persuader mon épouse l’a été beaucoup plus… Il fallait quitter tout çà, aller s’installer à Paris pour avoir la vie d’un Commissaire Général, avec tout ce qu’elle comporte d’obligations, de voyages, de contacts divers. Ce fut fait à l’issue du cinquantième anniversaire du Mouvement, où nous avions invité Lucien Paye, alors Ministre de l’Éducation Nationale, ancien E.D.F.. Je l’avais connu en Tunisie où il était directeur de l’enseignement, un de ces enseignants de haut niveau, formé au scoutisme et soucieux d’apporter son appui au Mouvement.

Alors me voilà installé Chaussée d’Antin, avec une équipe fort dynamique et active, qui s’était déjà lancée dans un travail pédagogique d’évolution, de découverte, de mise en rapport avec le Mouvement, sa réalité, sa pratique, sa prise en compte de l’évolution de la jeunesse.

Il était évident pour nous qu’on ne pouvait demeurer un scoutisme figé, d’où quelques difficultés internes comme la création d’une association dissidente d’éclaireurs « neutres » qui entendait rester dans la stricte conformité antérieure. Nous tenions à préciser le schéma de vie et de fonctionnement démocratique du Mouvement, en particulier en ce qui concernait la coéducation.

C’est ainsi que furent engagés des contacts avec la branche Neutre de la F.F.E., d’une façon tout à fait officielle. Denise Joussot en assurait la responsabilité pour la F.F.E. N. Il s‘agissait pour nous d’en venir à ce qui avait échoué en 1949, la création d’un Mouvement commun de scoutisme ouvert à toutes et à tous, aux filles comme aux garçons. Ces négociations ont abouti plus facilement en 62-63 qu’en 49-50… Je ne pense pas que ce soit dû à une plus large ouverture d’esprit des responsables qui menaient l’affaire, ou à plus d’habileté manœuvrière, je pense que c’était dû simplement à l’évolution de la société française. La stricte séparation des sexes qui marquait l’action éducative d’une manière très profonde commençait à s’effriter, à perdre de son importance ; la place des femmes dans la société évoluait, et évoluait même très vite. Il était évident pour nous, éducateurs, inspirés par l’esprit du scoutisme, qu’une coéducation était à prévoir, mesurée et équilibrée selon les termes d’un Règlement général sur lesquels nous sommes tombés d’accord.

Un point qui n’est que de détail : cette création du « nouveau Mouvement » n’intéressait pas que la section neutre de la F.F.E., elle intéressait aussi les Éclaireurs Français, qui avaient progressivement à peu près disparu du territoire métropolitain mais s’étaient maintenus en Algérie. C’est ainsi, ça mérite d’être dit en passant, que sont nés les Éclaireuses et Éclaireurs de France, avec tout le souci d’une action pédagogique de formation pour les filles et les garçons, adaptée à un monde dont nous voyions bien qu’il était en pleine évolution. Alors ça a été, en 1966, la grande rencontre de l’AN 2 au lycée de Montgeron, et beaucoup d’autres événements que je ne vais pas vous raconter, je pense que la plupart d’entre vous les a vécus d’une façon ou de l’autre, de près ou de loin…

Retour vers l’outre-mer et l’international

Vous me permettrez de dire encore quelques mots de l’action de ce nouveau Mouvement outre-mer car, l’indépendance étant acquise, en particulier pour la plupart des états africains, les Mouvements scouts locaux ou nationaux, ont continué à vivre et à se développer, et nous avons entretenu avec eux, à travers l’E.R.OM. (Équipe Relations Outre-Mer) des contacts privilégiés. À ce titre nous avions des conférences du scoutisme laïque africain, à ce titre nous organisions des camps-écoles commun : cette coopération, qui est devenue un terme banal quelques années après, était notre pratique.

Il faut signaler en particulier ce qui s’est fait à Madagascar, même si sa politique actuelle paraît bien dangereuse : dans ce pays il y a eu des gens qui ont été Éclaireuses et Éclaireurs Malgaches, et il a eu un Français qui a joué un rôle majeur dans la création de ce mouvement scout autonome, dont je voudrais saluer la mémoire car, hélas, il nous a quittés, c’est Jean-Pierre Maillard, qui a été, quelques années plus tard, le premier maire à avoir eu cette idée, qui a paru alors complètement baroque, de créer le premier « conseil municipal des jeunes ».

Il faut également évoquer notre action internationale, et les relations que nous avons eues, à ce moment en particulier, quand il y a eu un certain desserrement de l’emprise soviétique sur la Pologne, avec le Mouvement polonais, qui n’était pas membre du scoutisme mondial à cause du partage né du rideau de fer, mais essayait de faire des choses intéressantes. Je me rappelle être allé, comme responsable national du Mouvement, faire une visite en Pologne, justement pour tisser des liens nouveaux. Je crois que le rôle du Mouvement, dans un élargissement de l’Europe à l’époque difficilement prévisible, ne peut pas être négligé. C’est une tâche qui était dans l’esprit de notre Fondateur.

Voilà ce que je pouvais dire, peut-être un peu trop rapidement, peut-être un peu trop longuement, peut-être les deux. Trop rapidement par rapport à la masse d’événements, trop longuement parce qu’on parle toujours trop ! (applaudissements nourris dans la salle).

Cascade intervient alors pour apporter un complément à ce que Jean Estève vient de raconter sur nos rapports avec les Éclaireurs Polonais : après la chute du mur de Berlin, le scoutisme mondial, qui, lui aussi, avait bien évolué, a demandé aux E.E.D.F. d’être les parrains du nouveau scoutisme polonais et de l’aider à retrouver le fraternité du scoutisme mondial. C’est certainement grâce à ce qui avait été fait auparavant.

La parole passe à Yvon Bastide qui a d’abord des problèmes avec son micro…

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