1948 : Une grande période de réflexion pour la F.F.E.

Ven23Déc201111:49

1948 : Une grande période de réflexion pour la F.F.E.

 La société évolue et les responsables de la F.F.E. mènent une réflexion approfondie qui aboutira à une évolution...

1948 : le camp national de La Rochette :

En 1948, un « camp national » à La Rochette près de Melun ouvre une grande période de réflexion, essentiellement sur deux thèmes :

- « la recherche du scoutisme », titre d’un exposé de Jacqueline Bricka, commissaire F.F.E., pour ouvrir les débats, avec la participation de M. Laborde, directeur des CEMEA,

- « les missions de la F.F.E. » : mission commune de la fédération, mais mission propre à chaque section, en particulier pour la section Neutre « dans la perspective d’un accord avec les E.D.F. ».

Il est prévu que ces débats se prolongent dans les journaux, les conseils provinciaux et dans des « expériences ». Des lignes générales se dégagent :

« - garder un scoutisme exigeant, fondé sur la Loi et la Promesse, donnant une grande place à la vie de plein air,

-  s’intégrer d’avantage dans la vie même du pays. Accentuer le sens civique, se préparer pour des services effectifs, ouvrir les yeux sur les questions économiques et politiques, s’informer et s’affirmer.

- proposer aux jeunes des épreuves et des activités plus en rapport avec la vie moderne, ce qui signifie faire effort d’imagination et d’invention… »

Ces orientations vont avoir des conséquences à court terme, en particulier pour la section Neutre.

1949 : l’accord avec les E.D.F. :

« Le Trèfle » de janvier 1949 publie le texte de l’accord signé par la section Neutre de la F.F.E. avec les E.D.F.  On peut considérer ce texte comme une des conséquences de la réflexion lancée à La Rochette car il met clairement en évidence la « mission propre » de la section Neutre par rapport à la « mission commune » de la Fédération : à travers ce texte, c’est bien une évolution fondamentale des principes même du scoutisme qui est abordée, avec l’introduction de la coéducation et de la mixité.

L’accord est très complet et il est difficile de le reproduire dans son intégralité. Mais il est intéressant d’en relire l’exposé des motifs, dont les termes ont été sûrement très « pesés » de part et d’autre :

« 1°- Nous nous adressons au même milieu et aux mêmes familles. La nécessité s’impose donc naturellement de conjuguer nos efforts ;

2°- Nous sommes, de part et d’autres, pauvres en moyens financiers et humains. Une organisation commune doit nous permettre non seulement de faire les économies indispensables, mais encore de donner le maximum d’efficacité aux cadres et aux moyens dont nous disposons. Ce faisant, nous donnons l’exemple de ce civisme actif que, par ailleurs, nous prônons tant ;

3°- Dans l’époque actuelle où s’écroulent les cloisons entre le monde masculin et le monde féminin, deux organisations séparées semblent anachroniques. Avec une décision qui n’exclut pas le bon sens, nous devons créer les conditions nécessaires à de saines rencontres.

Ceci étant dit, il faut bien préciser  que nos accords ne sont pas centrés exclusivement sur la mixité. Elle n’en constitue qu’un corollaire, heureux sans doute, mais sur lequel nous ne nous hypnotisons pas.

Il faut aussi affirmer que les E.D.F. ne cherchent pas à démolir la F.F.E. dans sa structure actuelle. C’est pourquoi nous ne parlons actuellement ni de fédération, ni d’association, et que nous n’envisageons pas de donner à nos accords une forme statutaire. Nous attachons beaucoup plus d’importance à une coopération réelle qu’à un juridisme aussi gênant qu’abstrait ».

Tout est dit… ou non dit. Il est évident que la contradiction sous-jacente entre « mission commune » et « mission propre » constitue l’arrière-plan de cet exposé, et ce d’autant plus que, dans cette période, seule la section neutre semble se poser ce genre de question, et non les sections confessionnelles, qui auraient pu, également, envisager un rapprochement avec les associations masculines correspondantes, à partir d’un même… exposé des motifs. Vu a posteriori, ce document contient en germe les difficultés qui ne manqueront pas d’apparaître.

 

Arrêtons-nous sur un point, qui semble important : la coéducation et la mixité ne sont pas données comme l’objectif fondamental de cet accord, dont elles n’interviennent que comme un « corollaire ». Ce qui est mis en évidence, c’est, en terme de « marketing », le constat d’une « clientèle »  commune – « nous nous adressons aux mêmes familles », c’est-à-dire aux jeunes de l’enseignement public – et la nécessité d’une mise en commun de moyens pour une meilleure efficacité. C’est quand même l’ébauche d’une « entreprise » commune !

Cet exposé des motifs est suivi d’un « plan d’organisation » très complet, combinant :

-   éléments de la structure collective,

-   conditions d’autonomie,

-   programmes des activités.

Pour la « structure collective », le « conseil de chefs » sera mixte à tous les échelons, du groupe à la Nation. Au niveau du groupe local, l’aboutissement ressemble à une réelle fusion des structures existantes, mais on retrouve la difficulté déjà évoquée : « le chef de groupe ou le commissaire de district commun respectera scrupuleusement les consignes éducatives ou techniques propres à chacun des Mouvements. Ces consignes seront toujours transmises par son canal.»

Pour les « conditions d’autonomie », aux échelons nationaux et provinciaux la double hiérarchie est maintenue et chaque association conserve le mode d’élection et de nomination qui lui est propre. Au plan local, les cotisations sont payées comme précédemment et « la question des sympathisants est à mettre au point ».

Le programme des activités donne un inventaire de travaux :

-   de réflexion, « de pensée, recherche de l’esprit commun »

-   de coordination pour la mise en place des structures et de la formation,

-   d’édition de périodiques et de documents de propagande,

-   de partage des services administratifs.

Quelles que soient les affirmations, on a vraiment l’impression que va être créée une nouvelle association…

Les « instructions d’application » qui suivent confirment cette orientation :

1°- mise en place : concerne les groupes existants, avec inventaire des groupes ou districts « défaillants »,

2°- cas d’un groupe nouveau : « il faudra admettre que, dès l’origine, le groupe soit considéré comme commun »,

3°- les unités féminines ne doivent dépendre que de la F.F.E. : « aucune unité féminine ne pourra être en registrée par les E.D.F., et réciproquement ». Indépendamment du fait que le « et réciproquement » est bizarre (s’agit-il d’unités masculines que la F.F.E. s’interdirait d’enregistrer ?), le fait d’évoquer ce cas est peut-être un signe,

4°- l’élection d’un chef de groupe ou d’un commissaire de district se fera à la majorité des 2/3 mais avec un nombre égal de voix pour chaque Mouvement,

La suite traite des dénominations, de la périodicité des réunions d’équipes, puis de l’application de la coordination aux diverses branches. Pour les branches cadette et moyenne, une commission est créée pour étudier les progrès réalisés, des assistants communs seront mis en place, éventuellement des publications et des actions de formation communes seront envisagées. L’autorisation de créer des unités mixtes, à titre provisoire, n’est évoquée que pour les branches cadettes.  Pour la branche aînée, « il est essentiel que jeunes gens et jeunes filles aient souvent des activités communes, mènent ensemble des entreprises ou des services communs, luttent ensemble pour un même idéal ». Cette acceptation de fait de la mixité conduit à la création d’un « conseil de direction du scoutisme aîné ».

Cet accord est signé par l’ensemble des responsables nationaux des deux parties :

-   H. Lavoine, V. Didier, D. Brandel,  A. Lafuente pour la F.F.E. N

-   P. François, J. Estève, R. Duphil, P. Buisson, J. Cabot pour les E.D.F.

« Le Trèfle » de février 1949 – le mois suivant, donc très vite après cette déclaration d’intentions communes – aborde, dans les pages consacrées aux Petites Ailes, le problème de la mixité à la branche cadette, sous le titre « une idée qui n’est pas neuve ». En effet, des essais ont déjà été réalisés, par des unités unionistes, dans des paroisses où le nombre d’enfants concernés était insuffisant pour la création de deux unités. La même situation s’est d’ailleurs également présentée pour des cheftaines institutrices dans de petits villages où les classes étaient mixtes et a conduit à la création de « groupes mixtes ».

Un rapide tour d’horizon « de ce qui existe ailleurs que dans le scoutisme » rappelle que « le système scolaire est mixte depuis toujours aux U.S.A. » et que « nous avons aussi en France des écoles mixtes, non seulement dans le village à classe unique, mais en dehors des établissements de l’État, dans des écoles réputées pour la valeur de l’éducation et de l’enseignement qui s’y donnent ». Et on évoque la famille « où frères et sœurs vivent sous le même toit ». Suivent des « observations pédagogiques » et un grand chapitre sur « les conditions de réussite d’un groupe mixte à l’âge P.A. - Louveteaux », avec des considérations sur les proportions respectives de garçons et de filles dans l’unité et la nécessité d’activités séparées.

Un élément nous semble important : bien que l’auteur de cet article soit Violette Didier, par ailleurs signataire de l’accord avec les E.D.F. au titre de la F.F.E., il ne concerne pas que la section Neutre. Un prolongement de cette réflexion est prévu à la prochaine réunion de la « Commission P.A. à Mardi-Gras ».

« Le Trèfle » de mars 1949 présente, sous la double signature de Léone Mallefont pour la F.F.E. N et d’Érable Lévy-Danon pour les E.D.F., un « service propagande » commun F.F.E. N – E.D.F. et conclut : « Ces réalisations auront d’autant plus de valeur et d’efficacité qu’elles s’adresseront à l’ensemble des jeunes, filles et garçons, du secteur laïque. Secteur qui est également évoqué dans une présentation de la « Quinzaine de l’École Laïque » organisée par la Ligue de l’Enseignement.

« Le Trèfle » de juin fait un pas de plus dans la présentation de « la liaison F.F.E. – E.D.F. au sein du groupe local » en rappelant que « cet objectif des groupes communs doit être atteint au premier octobre prochain, dussent certaines personnes à l’amour-propre encombrant ou à la routine incurable en faire les frais. Nos filles et nos garçons attendent autre chose de nous qu’une sclérose dans des formules dépassées bien souvent.» À titre d’exemple, c’est Henry Gourin, commissaire national E.D.F., qui présente l’organisation du groupe F.F.E. N – E.D.F. de Montluçon, avec une conclusion plutôt optimiste sauf sur un point :

« Ainsi, le groupe se présente comme une grande famille très unie. On ne saurait parler de « contacts » entre garçons et filles tant ils ont tous la certitude d’appartenir au même groupe. Leurs joies, leurs réussites sont communes, comme leurs soucis ou leurs échecs. ; et les autorités, les parents, le public ont bien l’impression très juste d’un Mouvement très uni. (…) Une fausse note jaillit parfois quand il faut parler finances car il a bien fallu deux caisses distinctes puisqu’il y a deux associations distinctes. (…) Il va sans dire que nous souhaiterions une administration simplifiée et unifiée… ».


Le Trèfle de mai 1949 rapporte les débats du Congrès de Vénosc en décembre 1948,  où une question importante est évoquée par les responsables de la section Neutre, dans le prolongement immédiat des sujets abordés au camp national : l’implication de la Fédération dans l’information et la formation « politiques », ou même dans l’action.

Le texte correspondant est tout à fait significatif :

«  À propos de la question : « l’apolitisme est-il viable pour un Mouvement de jeunesse éducatif ? », les déléguées :

-   après avoir constaté que l’apolitisme a été la position de la F.F.E. pendant bien des années, position qui était considérée comme idéale et même généreuse, reconnaissent que cet apolitisme recouvrait souvent, outre la passivité, la crainte de s’engager et une certaine ignorance, et correspondait à une orientation inconsciente équivalant à l’acceptation d’un ordre établi ;

-   après avoir considéré que l’apolitisme est actuellement impossible pour quiconque veut avoir une action sociale profonde, cette action demandant des réformes de structure, donc une prise de position politique et une action sur les organismes politiquement établis (partis, syndicats),

jugent indispensable, pour la Section Neutre, de sortir de son indifférence et de son incompétence  et de réviser son attitude.

En conséquence,

-   elles demandent que la Section Neutre se sente responsable de l’information politique de ses cadres et que cette préoccupation se manifeste dans la formation des cheftaines,

-   elles souhaitent que cette information mène normalement les cheftaines à se préoccuper des problèmes politiques et sociaux, à prendre position, à assumer des postes de responsables quand elles le pourront,

-   elles demandent que la Section Neutre travaille à dégager les questions précises sur lesquelles un accord peut se faire au titre du Mouvement. Ces questions seront d’abord celles qui touchent la Jeunesse : école, santé, apprentissage, conditions de travail, loisirs, rééducation, (cette liste n’est en aucune façon limitative) et, en général, les problèmes qui posent la question de la dignité humaine et du respect de la personne : colonialisme, paternalisme, construction de la paix…

Il est bien entendu que :

-   cette position n’implique en aucune manière l’affiliation à un parti, mais les déléguées estiment que la Section Neutre peut et doit, sur des points précis, mener une action commune avec les partis et mouvements ayant la même position qu’elle sur ces points ;

-   la Section Neutre, sur le plan politique comme sur le plan spirituel, doit être un terrain de rencontre. Il faut que chacune puisse exprimer les opinions, même les plus affirmées, sans crainte de se voir cataloguer aussitôt d’une manière partisane.

Les déléguées tiennent cependant à souligner le point suivant : « puisque nous nous affirmons pour un idéal de justice sociale et que le développement plus complet du scoutisme dans le milieu ouvrier est notre but, l’action générale de la Section neutre doit prendre forcément une orientation « socialiste ». (Note : l’emploi de ce terme n’implique, comme il a été dit plus haut, ni affiliation à un parti, ni soumission à un programme de parti). »

Il apparaît clairement que ces propositions vont nettement plus loin que les engagements qui ont caractérisé la Fédération à la fin des années 20 et dans les années 30, même si elles en prolongent l’esprit. Notons toutefois qu’elles émanent exclusivement de la Section Neutre, ce qui est d’ailleurs confirmé par les textes qui suivent.

La discussion se limite bien à la Section Neutre, dont le Comité, « réunion de toutes les commissaires de province, plus quelques membres cooptés en raison de leurs compétences particulières ou de leur personnalité », entraîne une « mise au point » dans la revue – dès le mois suivant :

«  La discussion a tout de suite fait apparaître deux malentendus qui doivent être dissipés :

1°- Les motions votées sont indépendantes des accords signés avec les E.D.F., les sujets traités étaient depuis longtemps déjà au nombre des préoccupations du Comité National ;

Au Congrès de Versailles (Noël 1946), accaparées par la laïcité sur laquelle nous avons réussi à exprimer à peu près clairement notre position, nous avons à peine abordé la question politique qui pourtant se posait déjà. Mais, à la suite de ce Congrès, quelques membres du comité de la Section Neutre ont pris en charge un travail qui a été constamment suivi par le Comité et à la suite duquel, en septembre 1948, le Comité a établi l’ordre du jour du Congrès de Noël ;

2°- Les motions votées aux Congrès de la Section Neutre n’ont pas valeur de décisions collectives ; elles sont l’expression de vœux. Ici, il nous faut reconnaître la maladresse de certains termes dans les motions de Venosc ; ils ont pu faire croire parfois qu’il s’agissait d’une orientation déjà prise alors que nous en sommes seulement à la mise en chantier d’un gros travail. »

La « mise au point », signée d’Henriette Lavoine, est quand même très nette :

« Ce n’est donc, ni le rapprochement avec les E.D.F., ni un opportunisme facile, qui ont poussé le Comité de la section Neutre à étudier la question de l’apolitisme, mais les constatations essentielles suivantes :

1°- Nous nous occupons de jeunes qui, de gré ou de force, vivent dans un monde politisé à outrance et devront plus tard s’engager dans la vie, prendre des responsabilités dans ce monde politisé. Toute éducation qui ne tient pas compte de ces données semble faillir à sa tâche en omettant une part vitale.

2°- D’autre part, des problèmes qui touchent les jeunes d’aussi près que : école, santé, apprentissage, conditions économiques, paix, sont, que nous le voulions ou non, insérés dans la vie politique. C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire, malgré la diversité d’opinion des membres de la section Neutre, de rechercher en semble les points sur lesquels nous pouvons nous entendre. On dira que c’est là une utopie. Nous avons pourtant réalisé une unité dans la diversité sur le plan spirituel (vous y tenez et vous semblez en être fières). (…) Dans un pays divisé spirituellement, nous voulons, envers et contre tout, maintenir cette position de carrefour, avec toutes les conséquences que cela implique.

Ici, je me permets une parenthèse, pour mettre les cheftaines en garde contre certaines illusions. Elles s’imaginent que, parce qu’elles sont elles-mêmes à l’aise dans la F.F.E., tout le monde pense de même.  Elles s’imaginent aussi que toutes les opinions s’y côtoient ; or d’immenses secteurs de la jeunesse française ne sont pas représentés dans la section Neutre et ne songent même pas à y entrer, car ils savent, ils sentent qu’ils n’y seraient, ni à leur aise, ni à leur place. C’est justement parce que le Comité de la section Neutre a pris conscience avec acuité de cette carence qu’il propose à toutes de faire un effort d’ouverture ».

Avec quelques examens de situations :

« Un exemple : le Routier de décembre a publié une enquête auprès de jeunes ouvrières des usines du Nord. De cette enquête, il ressort que les jeunes ouvrières sont tellement abruties et avilies par leur travail qu’il leur est impossible de profiter de loisirs intelligents pendant leurs vacances. Trouvez-vous que ce soit dépasser les limites de notre tâche que de nous associer à ceux (les syndicats par exemple) qui cherchent à obtenir des conditions de travail plus humaines pour les jeunes ? Sans cette amélioration, à quoi riment les loisirs que nous sommes en mesure de leur proposer ? »

Mais avec une mise en garde :

« Si les cheftaines se passionnent pour les questions politiques, quand auront-elles le temps de s’occuper de leurs unités ? Une cheftaine ne pourra pas, certes, mener de front la direction d’un groupe et une action politique absorbante. Mais nous avons essayé de montrer en quoi les questions touchent de très près toute action éducative dans le monde actuel. Par conséquent, le fait d’appartenir à un Mouvement qui n’ignore pas systématiquement les questions politiques et qui aide les cheftaines à s’informer, non seulement ne gênera pas leur travail éducatif, mais permettra de le rendre plus profond. »

Bien entendu, tout le monde n’est pas d’accord :

«  Il ne nous semble pas indispensable, moralement, que la section N prenne position politiquement. C’est affaire personnelle.(…) Nous ne sommes pas venues au Scoutisme pour faire des « réformes de structure » ni pour une « action sociale profonde ».

«  Les résolutions de Vénosc nous semblent à la fois dangereuses et contradictoires. Nous nous élevons d’abord contre l’affirmation que « l’apolitisme » de la F.F.E. couvrait passivité et crainte de s’engager. (…) Nous sommes tout à fait d’accord pour que la F.F.E. continue, comme par le passé, à étudier les questions relatives à la jeunesse (école, santé, apprentissage, conditions de travail, loisirs, rééducation, etc…). Mais les problèmes concernant « colonialisme, paternalisme, construction de la paix » étant des problèmes d’ordre politique, sont de ceux sur lesquels la F.F.E. ne peut avoir une doctrine commune.(…) En conclusion, il nous apparaît que l’information politique est nécessaire et même urgente, mais qu’il soit bien entendu qu’information signifie documentation dans tous domaines et tous partis, et non orientation à sens unique aboutissant à l’action commune avec un parti ou un mouvement quel qu’il soit ».

Et la discussion continue :

« … Je pense qu’il faut dire et redire que nous ne voulons pas d’une « orientation imposée à sens unique », mais je crois tout de même que, d’une façon générale, la position à tendance socialiste, anti-paternaliste, est la seule généreuse, respectueuse de la personne humaine. (…) Ce n’est pas « un coup de barre à gauche », c’est un éveil du sens critique appliqué à l’ordre actuellement établi, sens qui ne s’était guère manifesté à la F.F.E. pendant de longues années ».

… avec une réaction de deux cheftaines « de l’assistance publique de Lille » :

« … Pour une fois, nous sortons de notre coupable silence, qui laisse toujours croire que nous sommes « contre ». En fait, nous sommes « pour », absolument. Comme nous sommes heureuses de penser qu’enfin la F.F.E. va ouvrir les yeux sur les problèmes touchant les travailleurs, essayer d’être vraiment « utile » dans la lutte contre la misère. »


... et ses suites :

Ces documents semblent mettre en évidence, en quelques mois, une réelle volonté de construire ensemble de nouvelles structures et de nouvelles activités. Mais cet optimisme est certainement prématuré car de nouveaux événements vont intervenir et conduire à la convocation d’un rassemblement de la section Neutre, fin septembre, à Moulins.

Un  numéro spécial du Trèfle, daté du mois suivant, en rend compte. En tout premier lieu, il rappelle la chronologie :

-   28 juin 1948 : les E.D.F. présentent un  projet d’accord entre les deux Mouvements ;

-   septembre 1948 : les cheftaines, en camp national, sont informées de ce projet et se prononcent pour un certain nombre de modifications ;

-   3 octobre 1948 : un contre-projet est présenté au Comité National E.D.F.. À la suite des amendements demandés par les E.D.F., un projet d’accord est soumis aux cheftaines dans les congrès provinciaux ;

-   6 décembre 1948 : signature des accords ;

-   26 juin 1949 : Pierre François, considérant les accords comme une solution bâtarde, met la F.F.E. en demeure de se prononcer sur le principe d’un Mouvement unique.

Ce qui entraîne une décision du Comité National de soumettre la question à toutes les cheftaines de la section Neutre au cours d’un rassemblement.

Le Trèfle fait ensuite état d’une « seconde mise au point » concernant « l’emploi même du terme de mixité » qui était à la base de toutes les discussions : « Dans le vocabulaire actuel, tout est mixité : camp commun, caisse commune, fête commune, commissaire commun…(…) Le terme même de mixité recouvre en réalité deux  ordres de fait qu’il confond et qu’il lie à tort :

-   les activités mixtes et la coéducation,

-   les structures mixtes,  c’est-à-dire le mouvement unique.

L’un n’entraîne pas forcément l’autre. »

Suit un développement précisant que les activités mixtes sont souhaitables, aussi bien du point de vue de l’éducation que du point de vue de l’efficacité. Par contre les structures mixtes sont moins acceptables : « Les intérêts féminins courent très vite le risque d’être négligés car les conditions de vie et le comportement psychologique des femmes les placent généralement dans les rôles d’adjointes. (…)  L’autonomie féminine a donc besoin d’être affirmée dans les structures même.

La revue rend ensuite compte de l’intervention de Pierre François, qui confirme son accord quant à la nécessité de traiter séparément les deux problèmes, mais fait remarquer que « le succès de la coéducation tient pour une grande part au climat dans lequel elle est pratiquée. Ce climat ne pourra être créé que si les contacts ne sont qu’épisodiques. En conséquence, des expériences valables ne pourront se faire que dans un seul Mouvement ». Dans ces conditions, il lui semble impossible de conserver le protocole, qui a été accepté par les E.D.F. comme un minimum et un point de départ vers une position plus totale. Mais le retour à la situation antérieure aux accords n’implique pas a priori l’impossibilité de travailler ensemble. Un groupe de cheftaines insiste pour que le projet proposé par les E.D.F. fasse l’objet d’une lecture, dont la revue donne une analyse : à partir des formes juridiques et statutaires :

-   constitution de la section Neutre en association,

-   constitution, sous forme d’association déclarée, d’une fédération des deux Mouvements,

sous cette apparence fédérative, s’organise en fait un seul Mouvement.  Cette orientation est confirmée par les autres éléments du projet : structures, direction du Mouvement, équipes de branches, nomination des cadres,  représentation, administration.

Sur ce dernier point, une remarque peu diplomatique : « Il serait stupide d’inventer un nouveau système administratif… La solution la plus sage est d’adopter le système administratif en vigueur chez le plus grand nombre, c’est-à-dire celui des éclaireurs. »

« Après avoir demandé divers compléments d’explications, les cheftaines, étant maintenant en possession des éléments indispensables pour se faire une opinion personnelle et prendre une décision motivée, s’en furent se coucher ou, plus souvent, discuter par petits groupes. »

Le dimanche, la discussion reprend à partir d’un exposé de l ‘équipe nationale qui, jusqu’alors, avait décidé de se prononcer catégoriquement. Son texte est présenté comme une motion intitulée « Proposition d’organisation pour un travail commun entre les E.D.F. et la F.F.E. ». Le préambule rappelle « la nécessité de ne pas cloisonner l’éducation des filles et celle des garçons ».  Mais « l’enrichissement espéré étant fondé sur un double apport, féminin autant que masculin, il importe de maintenir cette double ligne de forces. (…) En conséquence, nous demandons que les principes de :

-   l’autonomie de direction par double hiérarchie à égalité à tous les échelons,

-   l’autonomie d’orientation par la liberté d’alliances,

-   l’autonomie de gestion par trésorerie et budget propres,

soient strictement respectées. »

Ces principes se traduisent par la définition d’organismes de travail commun, par un programme d’entreprises communes, par un calendrier permettant une coordination à tous les niveaux.

Dix-huit interpellations sont présentées, avec les arguments suivants :

-   faisons des expériences ensemble avant de conclure à l’intérêt d’un Mouvement unique,

-   la nature féminine étant influençable, il y a risque de voir les intérêts féminins passer au deuxième  plan d’un Mouvement commun,

-   créons ensemble quelque chose de neuf,

-   quel sera l’accueil des familles ? faut-il commencer par former les parents ?

-   faire éclater la F.F.E. serait un grave aveu d’échec,

-   la désintégration est commencée,

-   des modalités peuvent être trouvées,

-   une fusion n’apporterait rien aux finances de la F.F.E. et l’État risque de réduire les subventions…

Une anecdote au passage : des exemples ayant été demandés de cas où, dans une organisation mixte, on arrive à « oublier et à évincer les éléments féminins », l’exemple présenté est celui du scoutisme tunisien…

À partir de ces interpellations, six motions sont rédigées. La première, qui propose une rencontre en vue de la création d’un Mouvement unique, est rejetée par 78 voix contre 32 et 4 abstentions. Un complément, présenté pour un dernier effort de conciliation, est également rejeté par 66 voix contre 39 et 6 abstentions. En conclusion, c’est la proposition de l’équipe nationale, entraînant le rejet de celles de Pierre François, qui est votée par 59 voix contre 38 et 17 abstentions. Le texte de la motion précise quand même que « l’application des propositions de l’équipe nationale reste souple et s’adapte aux possibilités matérielles et morales de chacune. »

La rupture est-elle consommée ? Ce n’est pas certain si on s’en tient aux conclusions du rassemblement présentées par Le Trèfle : « Étant donné le respect toujours accordé à la minorité, la section Neutre se doit, comme premier objectif, de tenter de réussir des entreprises communes avec les E.D.F. D’hier à demain, les décisions prises n’impliquent aucun recul et aucune rupture. Les situations établies restent acquises. ». En particulier, « là où le groupe commun est déjà organisé, le travail continue. Là où rien n’est encore fait, le Conseil de groupe doit se constituer. » Autrement dit, il semble que la F.F.E. N souhaite, en réalité, continuer sur la voie ouverte par le protocole d’accord, pourtant déclaré caduc par les E.D.F.. Le Comité Neutre et le Comité National ratifient les vœux présentés par la majorité au Rassemblement des cheftaines et fixent un ordre d’urgence, en conservant la coordination de deux domaines d’activités : l’organisation d’un service Extension commun et les relations avec l’École Publique.

La suite :

Le Trèfle de décembre 1949 rapporte la motion votée successivement par le Comité National et le Comité Directeur des E.D.F. :

«  Considérant l’échec du regroupement des unités E.D.F. et F.F.E. section Neutre dans la plupart des groupes locaux, malgré les efforts qu’ils poursuivent depuis plusieurs années ; considérant la position prise au Congrès de Moulins par la F.F.E. à l’égard des propositions E.D.F. pour la constitution d’un Mouvement unique,

les Éclaireurs de France constatent que le protocole du 1er janvier 1949 est devenu caduc et en conséquence le dénoncent.

Les Éclaireurs de France se déclarent toujours partisans d’un Mouvement de coéducation et affirment qu’ils restent prêts à le réaliser avec la section Neutre de la F.F.E., en précisant qu’un Mouvement de coéducation n’implique pas une mixité systématique de toutes les unités.

Dans les circonstances actuelles, les Éclaireurs de France, soucieux de n’agir qu’avec toutes les garanties de succès, ne croient pas possible de lancer immédiatement un nouveau Mouvement.

Ils décident cependant qu’au cours de l’année 1950 quelques unités féminines pourront être admises chaque fois que les conditions nécessaires paraîtront réunies et sous le contrôle très vigilant des équipes provinciales et d’une responsable nationale.

En tout état de cause, les Éclaireurs de France rappellent la décision du Comité Directeur, en date du 4 juillet 1948, admettant la mixité des clans. En conséquence, la branche Route poursuivra dans les moindres délais la mise en place des responsables féminines à tous les échelons. ».

Le même numéro explicite la position de la section Neutre :

«  Le Comité Neutre, de son côté, examinait avec les Commissaires de province présentes les différentes situations créées dans les provinces par l’attitude (ou les attitudes) des E.D.F. à la suite de nos décisions. Pour éviter la confusion et répondre au désir exprimé par la majorité des cheftaines, il est nécessaire de réaliser une unité d’action dans le Mouvement.

En conséquence, à qui demande dans quel sens travaille la F.F.E., on peut répondre, quelle que soit la branche, la ligne de conduite déterminée en septembre est suivie : autonomie de direction, d’orientation, de gestion.

Le travail avec les E.D.F. n’est stoppé que là où ils refusent de collaborer ; partout ailleurs, la bonne entente continue dans l’autonomie des deux Mouvements. Quelques dissidentes sont passées chez les E.D.F., mais de tous côtés la cohésion s’affirme dans la F.F.E. et les créations se multiplient. »

Il semble donc, à la lecture de ces textes, que la rupture est consommée, à partir de l’automne 1949, après une période de rapprochement en vue de la construction d’un « nouveau Mouvement de coéducation ». Si les E.D.F. annoncent – plus ou moins clairement – leur intention de recevoir des « unités féminines » à la branche verte, et leur confirmation de la mixité de la branche aînée, la F.F.E. confirme, de son côté, son souhait de voir continuer des expériences locales « dans l’autonomie des deux Mouvements ».

Le rapport moral pour l’année 1949 reprend l’historique du projet de relations avec les E.D. F. et conclut « La section Neutre était décidée à faire loyalement l’expérience pendant un an avant de se prononcer sur sa valeur. Malheureusement, elle n’a pu aller jusqu’au bout. (…). Ceux-ci, décidés à créer un Mouvement laïque mixte ont rompu les accords précédents, accueilli les cheftaines minoritaires de la F.F.E. et sont partis « en marche vers un Mouvement commun » en créant au sein de leur association des unités féminines.

« Le Trèfle » de mai 1950, dans sa rubrique « Nouvelles de la section Neutre » qui accueille une nouvelle présidente, Madame Lempereur, institutrice, député du Nord, évoque sommairement les relations qui s’installent : « Notre situation, par rapport aux E.D.F., est toujours délicate. Des troubles et des heurts se produisent dans certaines localités. Sur le plan national, nous cherchons un modus vivendi permettant de rétablir des relations normales entre nos deux associations. ». Le « travail en milieu laïque » continue, « dans le sens très concret  des États Généraux de la France Laïque », avec l’organisation de colonies de vacances en liaison avec les U.F.O.S. et les amicales laïques et un protocole d’accord de la branche aînée avec le Mouvement Laïque des Auberges de jeunesse.

À l’examen de cette période, plusieurs responsables de l’époque pensent que le comportement de Pierre François à Moulins n’a pas été très… diplomatique et est pour beaucoup dans cette rupture. Interrogé, celui-ci nous a confié, quelques années après, que c’était peut-être vrai mais qu’il avait surtout eu l’impression que plusieurs des ses interlocutrices hésitaient grandement devant ce saut dans l’inconnu et qu’il fallait peut-être  les mettre devant leurs responsabilités…

Il est peut-être important de rappeler que Renée Sainte-Claire-Deville, responsable nationale, est devenue Madame Georges Bertier et que, dans la même période, celui-ci se détache des E.D.F. et cherche à leur porter préjudice. Certains analystes n’hésitent pas à faire le rapprochement, mais nous n’avons pas d’éléments permettant de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Notons simplement que l’idée même d’un Mouvement de coéducation dans le scoutisme est alors une idée neuve, d’ailleurs pas toujours acceptée au plan international (voir à ce sujet les éléments rapportés pour les E.D.F.) : il est peut-être dommage qu’elle ne soit pas allée plus loin dès cette période.

1950 : Comment aborder l’éducation sexuelle ?

« Le Trèfle » de mars 1950 aborde le sujet, plus sous forme interrogative qu’en apportant des réponses : « Pour nous, cheftaines, qu’en est-il ? Où en sommes-nous, que faisons-nous, qu’avons-nous à faire ?

Cet article, signé de Marguerite Klein et Claudie Vieux, traduit surtout une prise de conscience. Il commence par un inventaire de difficultés « qui entravent ou faussent l’éducation sexuelle », concernant aussi bien les cheftaines, « très jeunes, et parfois trop jeunes » - « à leur manque de maturité vient s’ajouter souvent un manque de culture, de réflexion, de pensée » – que les enfants : « l’époque à laquelle ils vivent vient contrarier, par son manque de raison, son immoralité et sa dureté, une évolution normale et harmonieuse. » Et le chantier est difficile pour d’autres raisons : « Soulignons également que la femme, appelée à se débattre comme un homme, risque de perdre le sens de sa féminité, aussi bien à son travail que dans son milieu familial » - ce qui ne semble pas être en lien direct avec le problème posé : « Nous n’avons pas tant à informer qu’à réformer ; il faut repartir à zéro et redonner aux notions acquises leur réelle signification, leur vraie beauté. (…).

À cette éducation sexuelle est proposé un double but :

-   donner des notions de physiologie : les appareils génitaux et leur fonctionnement, la conception, la naissance, le système endocrinien,

-   acheminer vers un comportement plus humain et plus harmonieux : « il serait dangereux de dissocier physiologie et morale, vie physique et caractère ».

La conclusion n’est pas très optimiste : « l’éducation sexuelle n’est pas une technique statique, elle évolue sans cesse. À tout instant, nous nous trouvons devant des cas « d’espèce », à résoudre dans le tête-à-tête. C’est pourquoi il est dangereux d’écrire, de dire : « faites ceci, faites cela ». Et c’est pourquoi, également, cet article est très incomplet. »

Une remarque à la lecture de ce texte, remarquablement écrit, qui ne doit pas être prise pour une critique mais est un constat : à aucun moment il n’est question de coéducation, ni des problèmes qu’elle peut poser dans des activités juxtaposées ou mixtes : le sujet est abordé sur un plan général, comme si le rapprochement récent avec le scoutisme masculin n’y apportait pas un élément particulier.


Henriette Lavoine, ancienne Commissaire nationale : Organisation et évolution

Henriette LAVOINE "T hibou" , agrégée d’anglais, a terminé sa carrière d’enseignante comme proviseur du lycée Maurice Ravel à Paris. Elle a été Commissaire Nationale de la section neutre de 1945 à 1950. Le D.T., représenté par Maryse ARNAUD et Nicole BERTHELOT, est allé lui rendre visite.

En introduction du témoignage qui lui est demandé, elle répond implicitement à cette question, que beaucoup d’entre nous se posent : « L’éclatement de la F.F.E. était-il inévitable ? » :

« Ce que je souhaite d’abord dire, c’est que les choses ne se sont pas faites brutalement et qu’il faut essayer de comprendre ce qui s’est passé avant la séparation définitive. (…)

J’ai quitté la Bretagne dans le courant de 1944 pour revenir à Paris car j’avais été nommée Commissaire nationale. La double hiérarchie (NB : sections et branches) était organisée depuis 1943 et, dans ma naïveté et mon enthousiasme, j’ai dit : « C’est comme cela qu’il faut marcher ».

À la demande du Comité E.U., divers aménagements sont effectués en 1943. Il n’est pas fait mention des E.I., cela va sans dire.  Le paragraphe suivant est extrait de l’article « Vie de la F.F.E. » qui figure à la première page de juin 1943 et est signé par R. Sainte-Claire Deville qui porte encore le titre de C.N. et qui deviendra Commissaire Générale :

Voici le schéma des nouveaux statuts :

Une présidente

Vice Présidente U.                                                                             Vice Présidente N.

Une Commissaire Générale

3 C.N. ou C.N.A. U pour P.A., E et E.A.

3 C.N. ou C.N.A. N pour P.A., E et E.A.

Commissaire Provinciale U                                                               Commissaire Provinciale N

Reçoit les directives du Comité U                                            Reçoit les directives du Comité N

qui reçoit l’inspiration du C.P.J.

L’une des commissaires est désignée « première » pour prendre vis-à-vis de sa collègue les initiatives de travail commun. Une conseillère fait la liaison si nécessaire.

Les Comités reçoivent les directives de la Commission Exécutive qui comprend :

-       la C.G. et les 6 C.N. et C.N.A.

-       7 C.P.U. désignées par le Comité U

-       7 C.P.N. désignées par le Comité N

Le Comité National réunissant toutes les C.P. se tiendra deux ou trois fois par an. Quelques-unes des Commissions du Comité Technique auront deux sous-commissions U et N qui travailleront en commun la technique et, séparément, la pédagogie.

Les Commissaires de la F.F.E. à tous les échelons auront ainsi des responsabilités séparées, mais travailleront ensemble dans un même esprit, et il est bien entendu qu’au cours de leurs voyages (tout en gardant le souci particulier de la formation et de la direction des cheftaines et unités de leur branche) elles réuniront toutes les cheftaines F.F.E.

J’ai fonctionné selon ce système pendant un an, un an et demi, et je me suis rendu compte que cette double hiérarchie mettait des craquements dans la F.F.E… De plus, après la Libération, est apparu un grand mouvement vers la mixité – c’était un phénomène de société ; il aurait fallu que la F.F.E. en prit conscience, qu’elle comprit le point de vue des garçons. Bien sûr, ils ont toujours été un peu durs avec nous, nous considérant comme des « vieilles filles ». Il aurait fallu, je crois, dialoguer davantage avec eux… On en serait arrivé au même point pour finir !

Je peux vous donner le point de vue de Colchique (Carmen Castro). Elle faisait très bien marcher la F.F.E. aux Sables d’Olonne, à la Roche sur Yon. En Vendée, elle travaillait la main dans la main avec les E.D.F.. Elle a connu le scoutisme (il n’y avait alors ni E.U. ni E.I. dans sa région) à travers les garçons avec lesquels elle avait les meilleures relations du monde. (…)

Colchique estimait qu’on ne pouvait trouver que des avantages à ce que la section Neutre « se marie » avec les E.D.F. et elle a été plutôt peinée d’avoir entendu beaucoup de gens à la F.F.E. dire que les E.D.F. voulaient nous absorber pour augmenter leurs effectifs. (…) Je pense d’ailleurs, et j’ai toujours pensé, qu’au niveau Louveteaux la mixité était très adaptée ; au niveau branche moyenne, il y a eu au départ, chez les E.D.F., des groupes mixtes puis, après des expériences un peu néfastes, certaines unités sont redevenues uniquement de filles ; à l’échelle « aînés », on retrouvait la mixité, et j’estime que c’était aller dans le sens de la société. (…)

Quand, en 1949, un certain nombre d’unités neutres sont passées chez les E.D.F., Pierre François est venu me demander en bonne et due forme de m’occuper des Éclaireuses aux E.D.F. Je n’ai pu que lui répondre « Écoutez, Pierre, il ne faut pas exagérer ! »

Abeille, qui était « petite éclaireuse » en ces temps-là, dans un groupe (Camille Sée) qui, justement, est passé aux E.D.F. en 1949, s’interroge sur le fait qu’au-delà du problème de la mixité, il lui a semblé percevoir une différence de souci primordial dans l’éducation proposée. Cela introduit une analyse de « T’Hibou » : « Oui, les E.D.F. étaient plus laïques au sens restrictif du terme. La F.F.E. N. a opté, dans sa déclaration de principes, pour le terme « neutre » qui n’est pas très joli (il a l’air de dire : il faut se mettre hors de tout) et a rejeté le mot « laïque » parce qu’il avait trop de connotations, disons même politiques. C’était très difficile de trouver le terme précis, de dire ce que nous faisions exactement. Dans mes camps d’éclaireuses, j’ai toujours demandé un temps de silence après le salut au drapeau. Après le déjeuner aussi. Cela créait une certaine atmosphère. (…). Dans les camps d’E.A. ou de cheftaines, il y avait des exercices spirituels proprement dits, mais c’est bien souvent moi qui faisais les E.S. neutres : je suis une laïque convaincue, mes éclaireuses savaient que j’étais catholique, mais ont toujours su que je respectais celles qui étaient de milieu libre-penseur ou agnostique. Tout cela marquait les filles et donnait à la F.F.E. une ouverture spirituelle qui, ainsi, participait à la formation complète de la personne. »

Carmen Mémoire

Henriette Lavoine, dans son témoignage, évoque le parcours de Carmen Castro (sœur d’Antonio Castro dont nous avons évoqué le clan Claude Sommer) devenue Carmen Mémoire. Nous lui avons demandé de compléter cette information. À noter que Carmen représentait la F.F.E. à la réunion de le branche Éclaireurs des E.D.F. qui a abouti aux « résolutions d’Angoulême ».

« En 1946, j’ai créé un premier groupe F.F.E. d’éclaireuses sous l’influence de mon frère qui m’a dit : « Qu’est-ce que tu attends pour t’occuper des éclaireuses ? ». C’était aux Sables d’Olonne où nous habitions après être sortis d’Espagne en 1939.  Le principal du collège avait mis à notre disposition un local dans l’établissement, où les filles désireuses de devenir éclaireuses venaient me rejoindre le jeudi après-midi. Nous y débattions de la promesse et de la loi, nous chantions, nous faisions le programme de l’année, sorties, week-ends et camp d’été. Aux sorties du dimanche chaque clan (patrouille) invitait une fille susceptible d’être éclaireuse  et nous sommes arrivées ainsi à 35 (5 clans de 7). Il y avait aussi une envolée de Petites Ailes dirigée par la sœur d’un des éclaireurs de Tonio. Avec lui, on faisait des séances de techniques, les nœuds en particulier, et il avait beaucoup de succès !

S’il y avait eu une branche féminine aux E.D.F. j’y aurais adhéré, mais il n’y avait, à l’époque, que la section N de la F.F.E.. Je recrutais dans le même milieu que les E.D.F. et nous avions un groupe d’amis commun dont le président était le principal du collège.

Par la suite, j’ai fait un camp-école de formation de cheftaines dirigé par Henriette Lavoine, commissaire nationale des éclaireuses, et son adjointe commissaire E.U.. Il n’y avait pas d’E.I. à ce camp. Il y avait une très bonne entente entre E.N. et E.U.

En 1949, Henriette Lavoine m’a fait « monter » à Paris pour que je puisse préparer une licence d’espagnol et enseigner officiellement. Elle m’a offert un poste à mi-temps à l’échelon national et j’étais logée dans une chambre de bonne mise à disposition par le père d’une E.I.. Oui, j’ai été la seule représentante de la F.F.E. à Angoulême où les responsables nationales m’avaient désignée. J’ai fait le voyage Paris – Angoulême avec Jean Estève et j’étais pratiquement d’accord sur tous ses points de vue, sauf sur la coéducation à la branche verte.

À cet échelon national, j’ai ressenti une certaine animosité à l’égard des E.D.F. qui voulaient, selon certaines, s’emparer de la section neutre, surtout à cause de sa « dot ». La dot en question, c’était les finances de la F.F.E. que la secrétaire – trésorière n’avait pas envie de leur donner ! De plus, le terme de laïcité était considéré comme trop agressif, par elles, et la féminité des filles peu compatible avec les activités des garçons. Je ne suis restée que dix mois à cet échelon national, considérant mes fonctions au-dessus de mes moyens et de mon expérience… ainsi que de mes convictions : je fais allusion à ma position en faveur d’un « mariage » avec les E.D.F., dont la section Neutre ne pouvait que profiter, tant du point de vue administratif que pour son recrutement.

Par la suite, j’ai rejoint Tonio à l’Institut pour jeunes caractériels à Saint-Lambert des Bois en vallée de Chevreuse. Je suis devenue cheftaine de louveteaux, donc E.D.F..

Je garde un merveilleux souvenir des mes éclaireuses et de mes louveteaux ! »

Renée Rennes : de la F.F.E . N aux E.D.F. :

Renée Rennes  « Chat de Chine », a donné un témoignage pour le D.T. n°61 en 1996. Ancienne de la section de Paris-Naples, elle en rappelle les activités et donne son point de vue sur l’évolution de la Fédération après la seconde guerre mondiale. Sa perception n’est pas très éloignée de celle d’Henriette Lavoine, mais Renée Rennes a accepté de « sauter le pas » et de rejoindre les E.D.F. avec son groupe, pour y prendre des responsabilités nationales.

« J’en retiens que ce sont les protestants qui ont introduit le scoutisme en France, et ils ont fait, en même temps, le mouvement laïque avec le Pasteur Gallienne pour les E.D.F. et avec Elisabeth Fuchs pour les filles avec la section de la rue de Naples en 1912.

(…) Donc, en 1911, E. Fuchs a reçu de nombreuses demandes de jeunes filles, sœurs, cousines, amies des garçons faisant déjà partie du scoutisme, pour qu’elle aussi fasse quelque chose pour les filles. (Elle) s’est tout de suite laissée convaincre et, au mois de mars 1912, la section des Éclaireuses du 22 de la rue de Naples était créée, statuts déposés à la Préfecture de la Seine comme il se devait. Paris-Naples était une section neutre, ouverte à tous, et jamais il n’y eut de référence à une foi religieuse. Les réunions avaient lieu le samedi et non pas le jour de congé scolaire. Ce rythme a été maintenu jusqu’à la fin de la section (dans les années soixante).

(…) Donc, les Éclaireuses faisaient de grandes sorties avec la tenue copiée sur celle des garçons, avec chapeau à bosse et grands bâtons, pendant la première guerre (celle de 14-18 évidemment). (…) Premièrement : interdiction de porter un corset (bien avant, je pense, le fameux couturier dont j’ai oublié le nom, Poiret, je crois) ; deuxièmement, raccourcissement des jupes de dix centimètres…Pendant la guerre, elles ont aidé aux soins des blessés et cultivé les jardins ouvriers pour les familles en difficulté (Paris en ce temps-là était beaucoup moins étendu et la campagne était toute proche).

(…) J’avais quitté la section quelque temps avant la (seconde) guerre et, à mon retour, j’ai annoncé à Melle Fuchs que j’allais reprendre la section abandonnée par ses cheftaines obligées de fuir à l’arrivée des Allemands. Son visage s’est illuminé lorsque je lui ai fait part de mon intention. Comme le scoutisme était interdit, je lui ai proposé de fonder le « Cercle des Jeunes de l’U.C.J.F. ». C’était exactement la même chose, mais le thème était « la Ménestrandie ». Les filles étaient des « Escholliers », puis des Ménestrels et des Trouvères, et moi j’étais « Maistre Chat ». Les clans étaient des « escholles », Nous n’avions pas d’uniforme, et le dimanche nous allions au Bois de Boulogne en passant par l’Étoile où nous faisions une minute de silence autour de la tombe du Soldat Inconnu. (…) Au camp, nous ne pouvions pas faire de salut aux couleurs, mais j’avais apporté trois tissus de même taille, un bleu, un blanc et un rouge, chaque tissu caché dans une tente différente, et le matin trois filles apportaient les trois tissus qu’on assemblait dans un silence absolu…

(…) À Paris, après la Libération, nous étions très seules. (…) Au camp de la Rochette, en 1948, où je m’étais rendue avec enthousiasme, puis au Congrès de Moulins (24-25 septembre 1949) où je ne suis pas allée, les cheftaines devaient décider si, oui ou non, elles s’alliaient aux E.D.F. À ma grande déception, et à celle de plusieurs autres, la réponse a été « non ». Il y eut beaucoup de larmes versées par des cheftaines qui avaient déjà commencé des activités mixtes. Pour moi, je n’avais pas d’idée précise, mais je me trouvais à nouveau très seule car, malgré mes demandes répétées, je ne retrouvais pas ces bonnes sorties F.F.E., toutes tendances confondues : les E.U. allaient là, les E.I. ailleurs, et je me retrouvais seule.

En repensant à ces moments-là, et en écrivant l’histoire de Paris-Naples, je réalise que le même sentiment de solitude qui a poussé Cygne des Lacs Tranquilles et son adjointe à demander la création de la F.F.E. en 1921, nous a poussées, nous, les E.N. de 1949, à aller vers les E.D.F. où Pierre François m’a demandé de venir encadrer les quelques centaines d’E.N. venues les rejoindre après le « non » de la Rochette…. »

Commentaire de cet extrait :

La description que fait Renée Rennes des débuts de la section d’éclaireuses de Naples peut sembler en contradiction avec la présentation qui en est faite par « le Muguet » puisque Renée insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une section « neutre ». Mais il est exact que l’intervention de Melle Fuchs dans ce document ne fait aucune allusion à un engagement religieux.

Ce témoignage confirme par contre le rôle important joué par le foyer de la rue de Naples dans les débuts du scoutisme féminin en France à partir de 1912, immédiatement après ceux du scoutisme masculin, et, une dizaine d’années après, dans la création d’une « fédération » à laquelle Chat fait allusion. Ce rôle a donc été fondamental dans les trois étapes majeures de la vie du scoutisme féminin : sa création, la fondation de la fédération sous forme « multi-sections », son évolution vers la coéducation.

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