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Sam17Sep202209:12

 

 

 

La construction quelquefois difficile d’une relation «internationale» (Yvon Bastide)

 

Une idée anglo-saxonne, un contexte national :

 

Dès le début, on constate des divergences sur la mise en œuvre de cette idée en France… avec des approches différentes suivant les associations :

-   les Éclaireurs  Français de Pierre de Coubertin n’adhéreront pas au groupement international proposé au nom de la liberté de choix : «Nous recherchons tout ce qu’il peut y avoir de bon dans les autres pays en matière pédagogique et, pour le bien de nos garçons, nous l’importons en France après l’avoir adapté à notre mentalité. Ses fenêtres sont largement ouvertes, mais nous ne consentons pas à ce que des étrangers se mêlent de nos affaires, surtout en ce qui concerne l’éducation de notre jeunesse».

-   Les Éclaireurs de France accepteront le choix anglo-saxon mais annonceront également leur volonté d’adaptation, essentiellement en ce qui concerne l’ouverture à tous, sans référence religieuse obligatoire… la future «laïcité» du Mouvement.

-   La Fédération Française des Éclaireuses se fixera des objectifs et, «en premier lieu, servir la France» pour «devenir un lien entre les femmes et les fillettes françaises» ; elle aura, comme les E.D.F., une section «neutre» sans référence religieuse obligatoire. Elle suivra également la voie tracée par le scoutisme anglo-saxon et participera à des manifestations internationales.

 

Un conflit de conception lié aux choix «laïcité» et «coéducation» :

 

À plusieurs reprises, les Éclaireurs de France, puis les Éclaireuses & Éclaireurs de France nés de la rencontre entre ces trois associations, rencontreront des difficultés au plan international, certaines associations refusant le principe d’ouverture à tous traduit, pour les jeunes, par la «promesse alternative» - possibilité de faire la promesse scoute avec ou sans référence à Dieu, annoncée par le Livre des Éclaireurs dès janvier 1912 : «Le serment des boys-scouts anglais comporte l’engagement de fidélité à Dieu. Il est évident que cet engagement peut figurer dans la formule du serment prêté par les jeunes gens qui adhèrent à une foi religieuse. Les Éclaireurs de France, mouvement respectueux de toutes les forces morales, n’entendent édicter aucun prohibition». 

On peut noter que le même choix est fait, dès les années 20, par les sections «laïques» de la F.F.E.

Cette orientation est d’ailleurs acceptée par le fondateur du scoutisme… mais elle n’est pas du goût de certaines associations (essentiellement les B.S.A., Boys-Scouts of America) qui la remettent en question en 1949 au cours d’une conférence mondiale (avec 72 voix pour et 72 voix contre, la voix du président évitant seule le conflit et le retrait des E.D.F. de l’organisme mondial).

Autre épisode dans les années 50 au sujet de la coéducation, le Mouvement mondial masculin tenant à différencier le scoutisme masculin et le scoutisme féminin :

«… Enfin, et quant au fond du problème, il faut poser que le Scoutisme s’adresse aux garçons et le Guidisme aux filles…

C’est un non-sens de prétendre vouloir appliquer aux filles les méthodes de formation virile voulues par notre Fondateur pour les garçons…»

Nouvelle alerte au début des années 60, où la motion «l’engagement envers Dieu ou la religion est la clé de voute et la base philosophique du Mouvement Scout» est retirée de l’ordre du jour de la conférence mondiale à la demande des E.D.F.

 

Des activités «internationales» dans le cadre d’une organisation «mondiale» :

 

Une fois les remous calmés, les Éclaireurs de France et la Fédération Française des Éclaireuses participeront aux rencontres mondiales organisées par les mouvements scouts masculin et féminin. Ces participations ne sont pas spécifiques du scoutisme laïque mais elles assurent la présence de ses membres.

Deux exemples :

-   la rencontre «Pax Ting» à Godollo (Hongrie) en 1939, racontée par Suzanne Châtelet qui y portait le drapeau français… quelques jours avant la déclaration de guerre ;

-   le jamboree de Moisson en 1947, «Jamboree de la Paix» organisé en France sous la responsabilité partagée par les associations du Scoutisme Français. 

 

Avec quelques mises en cause :

 

Peu de temps après le Jamboree de Moisson, une réflexion apparaît chez les E.D.F. sur les modalités de ce type de rencontre, jugées plus artificielles qu’efficaces. En particulier, le mode de sélection des participants, créant une concurrence au niveau des unités et conduisant à une participation limitée pour chacune, est critiqué ; l’intérêt d’activités réellement «collectives», impliquant l’unité – troupe pour les éclaireurs, clan pour les routiers – commence à apparaître et conduira, dans les années suivantes, à l’émergence de projets de véritables rencontres, locales ou autres, qui prendront diverses formes, liées ou non à l’appartenance de l’association à une structure nationale. 

Par la suite, l’adoption de la coéducation des filles et des garçons par les Éclaireurs de France conduira à un autre type de contestation et, pendant quelques années, au refus par l’association de participer aux Jamborees limités aux garçons.   

      

Des relations internationales structurées et plus ou moins officielles :

 

L’appartenance des associations françaises (à l’exception des Éclaireurs Français) aux organisations internationales regroupant les associations nationales est, bien évidemment, une dominante. Mais le besoin apparaîtra d’autres rattachements,  en particulier dans le but de créer un lien entre toutes les associations «pluralistes» ou «laïques» au plan international :

-   les relations avec les colonies françaises «outremer» :

Avec une exception notoire, celle de l’Indochine, ou André Lefèvre Veux Castor) conclut dès 1939 à la création d’une association indépendante, les Éclaireurs de France créent en A.O.F. (Afrique Occidentale Française), en A.E.F. (Afrique Équatoriale Française), en A.F.N. (Afrique Française du Nord), à Madagascar, aux Antilles et en Guyane, des unités donnant toute leur place à des jeunes responsables d’origine locale à côté de responsables d’origine métropolitaine, souvent enseignants ou fonctionnaires détachés. Ces implantations conduiront à la création d’associations nationales qui, longtemps, resteront en relation avec le Mouvement (EROM, COFRASL,…)

-   les relations avec les pays du «rideau de fer» : 

Dans une conférence à l’AAEE en 1998, Jean Estève, ancien Commissaire général, raconte : «La guerre froide était très chaude, si je puis m’exprimer ainsi. (…) Et notre souci était de garder quelques contacts au-delà de ce que Churchill avait appelé le rideau de fer »… : Hongrie, Tchécoslovaquie, en particulier…

Il y a là un rôle du scoutisme E.D.F. qui nous a mis parfois dans une situation très difficile en face des Britanniques liés aux U.S.A. et qui trouvaient – à la limite de la trahison dans cette situation de guerre froide – que nous ayons gardé quelques contacts avec nos frères scouts – mais c’était toujours nos frères !». Ces relations ont été difficiles pendant une longue période mais ont pu se concrétiser par la suite.

 

Le décor est planté : le Mouvement sera présent à l’international sous plusieurs formes :

-   en tout premier lieu, par son appartenance, une fois les remous apaisés, aux deux organisations mondiales de scoutisme, l’O.M.M.S. (Organisation Mondiale du Mouvement Scout)  et A.M.G.E. (Association mondiale des Guides et Éclaireuses)

-   ensuite, par son implication dans les pays colonisés, avant et après leur accession à l’indépendance,

-   avant et après la fin de la «guerre froide», par des relations et des contacts avec les pays de l’Est de l’Europe,

-   et, en complément des rencontres internationales organisées formellement, un certain nombre de projets menés par des groupes locaux, des régions ou des services…

Cette présence à l’international se traduit donc de deux façons :

-   des appartenances à des structures, mondiales ou thématiques,         

-   des actions «de terrain», liées ou non à ces appartenances.

Elle est remarquablement résumée par le texte rédigé par Dominique François, ancien commissaire international des E.D.F. et des E.E.D.F. à l’occasion du centenaire du Mouvement en 2011 ; nous le reprenons ci-après.

 


 

 

La construction d’un scoutisme européen, d’un scoutisme laïque et d’un scoutisme africain :

 

Un scoutisme européen :

Dès les années 60, l’objectif est la consolidation de la position des E.E.D.F. : privilégier notre participation à la Conférence Européenne.

Rapport moral de l’Association (1959-1960) : «Pour nous, les seuls moyens d’éviter que certaines tendances n’envahissent complètement le scoutisme européen, sont de fuir notre tour d’ivoire et d’apporter notre témoignage, moins par des paroles que par des exemples concrets.»

En effet il est plus aisé de figurer efficacement parmi les associations européennes, généralement plus aptes à comprendre nos positions, qu’au sein du Scoutisme Mondial, à condition de s’organiser et peser davantage dans le Scoutisme Mondial.

1960 : première Conférence Européenne du Scoutisme à Altenberg : «Au cours de la Conférence nous avons été heureux d’apprendre par des déclarations publiques que la coéducation faisait son chemin.»

Les suivantes :

-   1962 Hove (Grande Bretagne),

-   1964 Helsinki (présidence EEDF),

-   1966 Vichy avec pour thème «un nouvel élan pour le scoutisme», occasion de bien mettre en valeur nos réalisations, nos expériences de coéducation, nos pratiques scoutes (ateliers à la Planche). À Vichy mise en place du bureau régional permanent à Lausanne.

 

Un scoutisme laïque :

En 1963 (conférence de Rhodes) recommandations du C.D.  à Jean Estève (Commissaire Général) : renforcer nos liens avec les autres associations laïques ou neutres du scoutisme, peu nombreuses, déjà reconnues :

-   Boy Scouts de Belgique (B.S.B.),

-   Bund der Pfadfinder (B.D.P.) en Allemagne,

-   Fédération Neutre des Éclaireurs Luxembourgeois (F.N.E.L.),

-   G.E.I d’Italie,

-   associations africaines de Madagascar, du Sénégal, du Congo (reconnues en 1963, les autres plus tardivement).

et des associations non reconnues :

-   Scoutisme Catalan,

-   Union des Éclaireurs et Éclaireuses Polonais

Objectifs :

-   mise au point de positions communes à tenir au sein du Scoutisme Mondial face en particulier à la Conférence «Duty to God»,

-   mais aussi et surtout du développement des échanges internationaux de jeunes, d’organisation de manifestations internationales comme le stage franco-allemand.

Suite :

Janvier1967, sous l’impulsion de Jean Estève et de Charles Boganski, création du Comité Scout Européen d’Aide au Développement (EURAID)(B.S.B., les G.G.B., les E.E.D.F., la F.N.E.L. (Luxembourg) et les N.P.V (Pays-Bas), mais pas les G.E.I. (Italie)

afin de renforcer les liens par des actions concrètes :

-   caravanes,

-   formation des cadres en Afrique,

-   participation à la Campagne Mondiale contre la Faim.

-   journées européennes des associations laïques et pluralistes du Scoutisme (en 1982, réflexions sur le sens de la laïcité et de l’engagement).

 

Un scoutisme africain :

Anticipant largement sur les déclarations d’indépendance des pays africains, les E.D.F.

-   après la guerre, création des Éclaireurs Africains (E.D.A.),

-   soutien à la création des Scouts Musulmans Algériens, 

-   plan d’action du secteur Outre-Mer des E.D.F. de 1960-61 : transformation des E.D.A. en une fédération beaucoup plus souple.

-   1962 : création à Cotonou du Collège Africain et Malgache des Éclaireurs Laïques (CAMEL) par 14 associations dont les E.D.F..

Objectif :

La formation des cadres : mise en place un centre à Mbalmyo, à une cinquantaine de kilomètres de Yaoundé au Cameroun (Centre Africain de Formation C.A.F.).

1963 : deuxième session de formation en 1963, participaient 9 associations.

Préoccupation principale du CAMEL : la pratique d’activités utiles au développement.

Au passage, problèmes de coordination avec la formation traditionnelle de Gilwell, décernant le double tison, sous l’égide du Bureau Régional du Scoutisme Africain mis en place à Lagos en 1965 (incompatibilité entre le principe de la reconnaissance d’une seule association par pays et une organisation séparée de Mouvements laïques coexistant avec des associations confessionnelles).

Exemple (D. François) : camp-école de Sokodé au Togo en 1968, une expérience des plus enrichissantes, avec intervention dans un village où une enquête des stagiaires avait pu détecter le besoin de cimenter le sol de l’école, celui de construire un apatam pour le marché.

«Nous avons donc réalisé ces deux travaux, après que le chef du village m’eut assuré que le faiseur de pluie interviendrait pour éviter les précipitations. Après un match de foot mémorable, au cours du feu de camp, les stagiaires improvisèrent une pièce désopilante sur un mariage forcé avec participation de la population hilare. De plus, l’ambiance de Mai 68 eut aussi quelqu’effet avec des assauts d’éloquence sur la pratique de la démocratie, y compris dans le train de retour à Lomé, non sans interventions des autres passagers».

Le CAMEL se préoccupe également de l’organisation de caravanes qui, en liaison étroite avec un groupe africain ou malgache, réalisaient des chantiers, suivies par l’Équipe des Relations avec l’Outre-Mer (EROM) qui donnait des instructions détaillées pour leur bonne organisation et un déroulement correct.

Exemple : en 1967, sept caravanes furent organisées avec 36 filles et 31 garçons au Sénégal, au Mali, en Côte d’Ivoire, au Dahomey, en Algérie et au Liban.

1984 : La Coopération Francophone des Associations de Scoutisme Laïque, la COFRASL, prend le relais, à la fois de l’embryon informel de concertation des associations laïques, de l’EURAID et du CAMEL des années soixante.

 

Conclusion de Dominique François en 2011 :

Les E.E.D.F. ont été des précurseurs et le débat est enfin tranché puisque la Conférence Mondiale de 1988 à Melbourne déclare : «En tant que mouvement d’éducation, le scoutisme doit préparer le jeune à prendre sa place et apporter sa contribution à la société dans laquelle il vit.»

Plus précisément, le plan «vers une stratégie pour le scoutisme» adopté à cette Conférence Mondiale définit ainsi le scoutisme :

-   un mouvement d’éducation utilisant des méthodes récréatives pour atteindre son but – et non pas simplement un mouvement de loisirs comme on a trop souvent tendance à le percevoir,

-   un mouvement destiné à préparer la personne à apporter une contribution positive à la société et par conséquent proche des réalités sociales – et non pas coupé des réalités,

-   un mouvement pour les jeunes de tous âges, particulièrement adapté aux adolescents, – et non pas un mouvement essentiellement destiné aux enfants.

 

«Alors que les E.D.F. puis les E.E.D.F. affrontaient des attaques vives au sein du scoutisme mondial dans les années cinquante et soixante, ils se développaient de façon tranquille. Je me suis étendu sur ce que furent nos préoccupations d’état-major à cette époque. Je ne pense pas qu’elles aient retenti fortement sur la pratique du scoutisme par les jeunes du Mouvement.

On sait qu’après Mai 68, si, au contraire, les relations internationales étaient plus apaisées, une crise grave a secoué le Mouvement. Le souci d’une pédagogie active, inhérent au scoutisme, profondément enraciné chez les E.E.D.F., a ramené calme et sagesse.

Il leur a fait jouer, au long de leur histoire, un rôle de pionniers, qui a bien souvent focalisé les critiques des orthodoxes grincheux : coéducation, décolonisation, engagement au service du développement. Mais le scoutisme mondial a, semble-t-il, adopté, dans l’ensemble, les vues et pratiques qui sont celles des E.E.D.F.»

  

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