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2007 : Réflexions en vrac sur la laïcité

Voici un texte écrit par Jacques Piraud le 27 avril 2007, sur la laïcité aux Eclaireuses et Eclaireurs De France telle qu’il l’a connu et pratiqué. Presque vingt ans après, le débat n’est toujours pas tranché. Pourtant, la laïcité demeure une notion singulière qui garantie liberté de conscience, égalité et non-discrimination, séparation du politique et du religieux, neutralité de l’Etat à l’égard des diverses croyances…

Quitte à s’appuyer sur les textes fondamentaux, voici trois articles de la Loi de séparation des Eglises et de l’Etat, promulguée le 9 décembre 1905:

Art. 1 La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Art. 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (… )

Pourront toutefois être inscrit, au budget de l’Etat les dépenses relatives à des services d’aumôneries et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

Art. L141-3 (c’est le dernier article de cette loi) Les écoles élémentaires publiques vaquent un jour par semaine en outre le dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires. L’enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées.

Ces trois articles sont rédigés dans une langue claire et simple, tout à l’opposé du jargon ampoulé dans lequel, de nos jours on se complet. Ils permettent entre parenthèse de clouer le bec à ceux qui affirment de bonne foi ou de mauvaise, que la République combat les religions. Non, elle s’oppose à la mainmise d’un appareil clérical de quelque religion que ce soit, de quelque idéologie que ce soit, fût-elle athée, sur l’Etat et sur la conscience des citoyens, en particulier la conscience des enfants.

Ces articles ont inspiré, chez les Eclaireurs de France, des pratiques que j’ai découvertes quand j’ai adhéré à notre Mouvement en 1957:

– dans les camps, nous respections les prescriptions alimentaires des catholiques et des musulmans: pas de porc pour les musulmans, du poisson le vendredi, à cette époque en effet, l’Eglise catholique imposait à ses fidèles des contraintes alimentaires Légères d’ailleurs, qu’elle a levées depuis. Le dimanche, les activités étaient organisées pour que les enfants, catholiques ou protestants, puissent aller à l’église ou au temple, accompagnés d’un Responsable. Le dimanche matin il n’y avait pas d’activités passionnantes qui auraient « fait concurrence » à l’obligation dominicale. Nous profitions de cette occasion pour organiser des moments de réflexions morales ou philosophiques, adaptées à l’âge des enfants.

Bien évidemment, les « Chefs », selon le vocable de l’époque, s’abstenaient de toute expression ostentatoire de leurs convictions personnelles, religieuses ou philosophiques ou politiques. Nous avions en mémoire l’exemple de Vieux Castor, qui fut un de nos Chefs nationaux parmi les plus prestigieux. Il était catholique pratiquant et militant, en dehors des Eclaireurs.

Ceux qui m’ont connu à cette époque se rappellent que j’étais, dans ces années-là, catholique progressiste respectant la même discrétion que Vieux Castor au sein des E.D.F. Depuis, tout en restant de gauche, je suis devenu agnostique. J’ai connu dans ces années-là, d’autres croyants dans notre Mouvement, par exemple Françoise Lefebvre. Nous étions parfaitement à l’aise dans NOTRE Mouvement. Nous n’avions pas l’impression qu’il fallait « bouffer du curé » pour être un véritable éclaireur. Ni d’ailleurs de professer des convictions « de gauche ».

Dans les camps, nous pratiquions forums, débats, activités d’information avec le souci d’élargir les propositions. Exemple: dans un des camps « communautaires » que le Fram (Groupe local de Sartrouville) a organisé à Prélenfray, dans l’Isère, en 1973, nous avions invité l’évêque de Grenoble dans un de nos forums. Il y eut une controverse vive, mais toujours courtoise et de haut niveau entre cet évêque et Daniel Krol, militant E.E.D.F. de Grenoble et par ailleurs athée des plus convaincus. Dans un autre forum, nous avions invité des militants des Jeunesses communistes… Dans chaque forum, la règle était simple: exprimer ses convictions personnelles en modérant sa passion, contester les convections des autres avec le souci de ne pas blesser les personnes. Et ce n’est pas facile, car les convictions viennent du plus profond de la personne, et les attaquer trop durement, c’est risquer précisément, de blesser la personne.

Les Responsables qui animent de tels débats doivent veiller à ce que la controverse ne tourne pas à la polémique.

Pendant longtemps, jusque dans les années 90, les Français et les Immigrés de confession musulmane ne posaient pas de problème particulier à notre pratique de la laïcité: l’interdit sur le porc était facile à respecter dans les camps, comme d’ailleurs dans les cantines scolaires. Pas question en ces temps-là de viande hallal. Quant au voile, la question ne se posait pas dans l’Ecole, et l’on voyait très peu de femmes avec voile ou même fichu dans les rues.

Mais depuis une vingtaine d’année, se manifestent un peu partout dans le monde un réveil agressif des particularisme de toute nature, religieux, nationalistes, régionaliste, linguistiques, parfois tout cela à la fois. Réaction de défense sans doute inconsciente contre une mondialisation brutale qui uniformise, nivelle, détruit les richesses de civilisation longuement mûries au cours des siècles. Les individus et les groupes ont tendance à se replier sur leur « identité », sur leur particularisme érigé en absolu.            

Pour ce qui est des religions pratiquées en France, le Judaïsme et l’Islam ont des obligations rituelles ostentatoires: obligations alimentaires, signes vestimentaires distinctifs. Et tout autant chez les Juifs que chez les Musulmans des minorités activistes brandissent ces rites avec hargne, faisant oublier que la très grande majorité de leurs coreligionnaires veulent pratiquer leur croyance avec discrétion. C’est bien parce que ces manifestations sont des réactions de défense qu’il faut les comprendre, sans toutefois les approuver, que nous, laïques, devons réagir avec intelligence et générosité.

Alors?

Pour les signes religieux, distinguer les enfants et les adolescents d’une part, les Responsables d’autre part. Pour les enfants et les adolescents, grande largeur de vue. Aux Responsables, en revanche, s’impose la plus grande discrétion, « à la Vieux Castor ».

Les prescriptions alimentaires, nous devons les respecter autant qu’il est possible, sauf si elles gênent par trop la vie du camp. Exemple, la viande hallal, oui si une boucherie hallal est tout autant accessible qu’une boucherie normale, non si cela complique l’intendance au-delà du raisonnable.

L’expression des convictions des enfants, des adolescents, des adultes doit être totale, mais l’expression des convictions, les échanges d’idées et les controverses se pratiqueront dans le respect des personnes. ON PEUT DISCUTER DE TOUT MAIS PAS N’IMPORTE COMMENT.

La maîtrise dans l’animation des débats est une des compétences que doivent acquérir les Responsables.

Et si, dans une discussion, un enfant ou un adolescent demande: « Et toi, qu’en penses-tu » ? Le Responsable a tout à fait le droit de lui exprimer son avis, là encore avec des mots et sur un ton qui respectent la personne.

Dans notre Mouvement, tout un chacun a sa place. Croyant, agnostique, athée, partisan de Sarkozy ou de Besancenot, chacun doit s’y sentir pleinement accepté, fraternellement aimé.