2018 : Dans les branches… - À la branche verte…

Mer14Mar201808:51

2018 : Dans les branches…

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À la branche « verte », une « révolution culturelle » :

 

de l’organisation militaire à la démocratie participative

 

 

 

Jean-Claude Darmengeat, ancien responsable régional de branche

 

 

 

 

Ce texte n’est qu’un témoignage de ce que j’ai vécu, constaté, entendu, ressenti, sur la période allant  de 1950, année où j’ai débuté ma « carrière » d’éclaireur, jusqu’à 1972. Cela en région parisienne exclusivement. Très exactement dans la « province Paris Sud ». À cette époque, l’ancien département de la Seine était, chez les E.D.F, découpé en trois provinces, sud, ouest et est. Provinces qui se sont ensuite intégrées dans la « Région de Paris » après la réforme territoriale menée par Jean Estève.

 

 

 

E.E.D.F. ? « Expression française et laïque d’une méthode éducative inventée à l’aube du 20e siècle par un officier en retraite d’une armée coloniale. »

 

 

 

Il est clair que la démocratie ne fait pas partie des valeurs fondatrices du Scoutisme !

 

 

 

 

LES ORIGINES :

 

 

 

 

Dans l’esprit de Baden-Powell, il s’agit de former des citoyens utiles. Pour cela il faut proposer des règles de vie exigeantes et pratiquer des activités qui développeront les qualités qui font un citoyen plus responsable dans la vie de la cité, du pays, du monde…

 

Il est à noter que B.P. estime que ce citoyen plus responsable, plus fraternel, œuvrera plus efficacement pour la paix entre les peuples.

 

 

 

 

LA TROUPE D’ÉCLAIREURS MODÈLE 1911 :

 

 

 

 

Pour bien mesurer le chemin parcouru depuis les origines, il me semble utile d’imaginer ce qu’était une troupe d’éclaireurs à partir de 1911, pendant la guerre et dans les années suivant le premier conflit mondial.

 

Personnellement, ce que j’en sais vient de la lecture d’articles de l’époque et aussi des photos du « Livre d’Or » de ma troupe fondée en 1929.

 

 

 

La troupe est l’unité de base :

 

-   un groupe de 25 à 30 garçons de 11/12 ans à 15/16 ans subdivisé en sous-groupes de 6 à 8 membres : les « patrouilles » ;

 

-   un aspect « para-militaire » : uniforme kaki, foulard, chapeau à 4 bosses. (C’est la coiffure de la police montée canadienne et des soldats américains qui débarquent en 1917.) Et le « bâton scout » d’environ 1,80 m. Il remplace le fusil dans les rassemblements et les défilés ; il a aussi de nombreuses utilisations pratiques comme fabriquer rapidement un brancard. Le vocabulaire est d’inspiration militaire : troupe, patrouille, chef. Il ne faut pas oublier que nous sommes, en France, avant, pendant et après un conflit particulièrement meurtrier et que l’armée est au sommet de sa gloire et de sa popularité. Enfin le souvenir de la défaite de 1870, la perte de l’Alsace-Lorraine ont entretenu un besoin de revanche et un patriotisme exacerbé.

 

Sur son uniforme l’éclaireur arbore les marques de son « savoir-faire » : deuxième classe, première classe, brevets de spécialités.

 

L’éclaireur doit respecter la loi scoute et, lorsqu’il est bien intégré dans la troupe, lorsqu’il se sent apte à s’engager, il prononce sa promesse au cours d’une cérémonie solennelle.

 

La troupe est dirigée par un chef expérimenté (ou supposé tel) et ses assistants, la « maîtrise ». Elle décide des activités, de tous les aspects de la vie du groupe et, en particulier, de la progression individuelle de chaque éclaireur. L’autorité du chef est relayée par les chefs de patrouilles. Pas vraiment « démocratique », cette organisation toute militaire !

 

 

Notre Mouvement étant à l’époque une fédération de groupes, il est vraisemblable que les réalités étaient sensiblement différentes d’un lieu à l’autre. Il semble que, de la fin du premier conflit mondial jusqu’à 1940, le mode de fonctionnement ait peu évolué. Seul le décor change pour valoriser les qualités, la volonté de progrès et de dépassement de soi de l’éclaireur : Indianisme, Chevalerie, etc. Mais je n'étais pas là pour en juger !

 

Je reviendrai plus loin sur le système des patrouilles, fondement de la méthode branche « verte » et, à mon sens, ébauche d’une démocratie participative.

 

 

 

 

LE DEUXIÈME CONFLIT MONDIAL. LA DÉFAITE ET L’OCCUPATION DU PAYS :

 

 

 

 

La défaite et l’occupation du pays vont conduire de nombreux responsables et aînés à s’engager dans la Résistance à l’occupant nazi et au régime de Vichy. Leurs motivations sont évidentes. Dès l’origine, le patriotisme est une valeur fondatrice du Scoutisme. L’origine militaire et la guerre 14/18 ne sont certainement pas étrangères à la formulation de la Promesse : « L'éclaireur s’engage à servir son pays. »

 

 

 

Le scoutisme, même en l’absence de tout fonctionnement démocratique, était formateur de citoyens responsables capables d’assumer leurs engagements.

 

 

 

Si l’objectif premier des Mouvements de Résistance était la libération du pays, leur ambition était aussi de construire une France nouvelle plus démocratique, plus forte, plus juste, plus sociale. Cette ambition se concrétisera pour le pays dans les travaux du Conseil National de la Résistance. Et dans cette optique les résistants E.D.F, comme Jean Estève, Louis François et de nombreux autres, envisagèrent les évolutions indispensables de notre Mouvement vers des pratiques plus démocratiques.

 

 

 

Le besoin de démocratie à la branche verte, comme dans l’ensemble du Mouvement, découle donc directement des combats et des réflexions des Résistants pour l’avenir de la Nation.

 

 

 

 

L’APRÈS-GUERRE ET LA MARCHE VERS LA DÉMOCRATIE :

 

 

 

 

… à partir de 1945 sous l’impulsion de Pierre François, Commissaire Général, de son frère Louis François, président de l’association, et de Jean Estève, Commissaire national branche verte puis Commissaire Général :

 

Le « Congrès des Chefs de Patrouilles » en 1946, organisé par Jean Estève, fut une initiative fondatrice, et, à mon avis, une idée de génie.

 

 

À la suite de ce rassemblement, d’autres initiatives régionales virent le jour et à ce propos je veux rappeler ce qui se faisait en Province Paris-Sud à l’époque où j’étais Chef de Patrouille.

 

Chaque année un Chef de patrouille (C.P.) issu de chaque troupe participait au congrès de province au cours duquel deux ou trois d'entre eux – je ne me souviens plus exactement – étaient élus par le collège des chefs de patrouilles pour participer avec des responsables élus par le collège de branche, aux travaux d’une équipe animée par les adjoints de branche. Le rôle de cette équipe était d’organiser les activités de la province pendant l’année. En 1952, je crois, j’avais été élu et j’en garde un excellent souvenir. Dans cette équipe, ma voix, mes propos avaient autant de valeur que ceux d'un « Chef ». Il me semble que c’était une bonne illustration de ce que voulait Jean Estève.

 

 

 

 

LES RÉSOLUTIONS D’ANGOULÊME :

 

 

 

 

Avant le choix de la coéducation pour les filles et les garçons, elles proposent une première révolution pédagogique, ce qui ne voulait pas dire « jeter aux orties tout ce qui existait avant » et seront préservés :

 

 

 

-   les symboles : tenue (uniforme) et insignes, foulard identifiant l’Unité.

 

-   l’engagement : La Loi, la Promesse.

 

-   l’appartenance au Scoutisme français et au Scoutisme mondial.

 

-   etc.

 

 

 

Ce qui change :

 

 

 

La mise en œuvre d’une démocratie participative et représentative par de nouvelles pratiques d’animation :

 

-   clé de voûte de l’organisation démocratique, la généralisation des conseils à tous les niveaux, de la patrouille à l’ensemble de l’unité, où chacun(e) a le même droit à la parole pour décider des activités, par exemple d’une « entreprise » et de son thème, ou encore du lieu du prochain camp d'été ;

 

-   l’entreprise, qui par sa nature permet de pondérer le système des patrouilles, en permettant à l’éclaireur de faire le choix d’un atelier, d’une mission qui correspond à ses « envies », à son savoir-faire ou à son désir de découvrir quelque chose de nouveau ;

 

-   l’abandon d’une formation individuelle autoritaire, de nature scolaire – « tout le monde doit savoir faire un nœud de chaise double » – au profit d’une progression individuelle choisie par l’éclaireur lui-même en fonction de ses goûts, de ses centres d’intérêt. Il pourra ainsi développer son autonomie à son rythme ;

 

-   l’abandon du vocabulaire militaire : la patrouille devient « équipage », la troupe « unité », l’uniforme  « tenue », le chef « responsable ».

 

 

 

 

LE SYSTÈME DES PATROUILLES :

 

 

 

 

À ce stade, il me semble utile de revenir sur le « Système des Patrouilles » largement vilipendé par des responsables qui n’avaient peut-être pas eu le bonheur et le privilège de se confronter à un groupe d’ados et pré-ados : « La patrouille, une bande de 6 à 8 garçons dirigée par un chefaillon autoritaire et imbu de lui même. » Cette caricature n’est pas exagérée, je l’ai entendu de mes propres oreilles !

 

 

 

Plus sérieusement :

 

L’animation démocratique des unités n’a pas remplacé la patrouille par une « société de jeunes » ; la patrouille est une société de jeunes, à la mesure de ceux qui la composent. Elle est une société démocratique où le conseil de patrouille décide de tout ce qui la concerne. Je me souviens fort bien de nos discussions dans notre « coin de patrouille » au local de notre groupe.

 

Dans la patrouille on apprend à vivre ensemble, à prendre en compte les besoins et les souhaits des autres. Chacun/e découvre que sa propre liberté doit s’arrêter là où elle commence à piétiner celle de ses camarades.

 

On apprend à partager les tâches obligatoires à la vie et à la sécurité du groupe : par exemple, au camp, faire la vaisselle, entretenir la propreté du coin de patrouille, etc.

 

Dans sa patrouille, l’éclaireuse/eur sait que l’on a besoin d’elle, de lui, comme elle/il a besoin des autres dans un groupe où tous sont solidaires.

 

Enfin la patouille a un rôle primordial dans l’accueil et l’intégration des nouveaux, qui vont « apprendre » avec leurs camarades plus expérimentés.

 

Le fonctionnement de cette petite société est donc bien propice à l’apprentissage de la démocratie. Il se poursuit au niveau de l’Unité avec les différents conseils :

 

-   conseil des C.P., journalier en camp,

 

-   conseil de Haute Patrouille (CP + Seconds de Patrouilles) avec parfois des activités spécifiques dans ce dispositif. J'ai le souvenir, après un camp dans les Hautes-Pyrénées, d’un camp volant de H.P. entre Arreau et St Jean de Luz,

 

-   conseil d'unité.

 

 

 

En ce qui me concerne, mais cela n’engage que moi, le système des patrouilles est effectivement une condition absolue à l’animation des Unités de la branche.

 

 

 

 

LES FREINS À LA MISE EN ŒUVRE :

 

 

 

 

Ces nouvelles pratiques d’animation, beaucoup plus exigeantes, demandaient à chaque responsable d’être attentif à la personnalité de chaque éclaireur, de l’aider à exprimer ses attentes, ses envies et à prendre toute sa part dans la vie du groupe, dans le choix des activités. Bref à se comporter en citoyen dans une société démocratique.

 

Dans la plupart des groupes, les responsables n’étaient pas préparés à une telle évolution et quelques-uns décidèrent de continuer à faire comme avant… Non par opposition mais par crainte de l’inconnu.

 

Un autre type de réaction fut celle de quelques « groupes forteresses ». C'est-à-dire des groupes qui avaient la réputation, non usurpée, de « bien fonctionner », à la satisfaction unanime des adhérents, des parents, des responsables locaux et régionaux. Et voilà que, brutalement, on leur disait que ce qu’ils faisaient n’était plus au goût du jour mais ringard, et qu’il fallait passer à des méthodes nouvelles ! Beaucoup refusèrent de se plier à ce qu’ils considéraient comme une hérésie et ne modifièrent en rien leurs pratiques, sauf le vocabulaire.

 

En fait nous étions devant un déficit évident de formation qui ne pouvait se combler qu’avec le temps.

 

Pour pallier cette situation chaque région aurait dû mettre en œuvre ce que j’appelle une « proposition de vente ». C’est-à-dire réunir sur un temps court, un jour ou un week-end, les responsables en activité pour leur présenter verbalement ces propositions nouvelles et répondre à leurs questions, à leurs craintes, à leurs interrogations. Ce qui a pu être publié dans les revues était bien, mais insuffisant

 

Et puis, à l’époque, nous n’étions pas les seuls à innover, même si ce n’était pas avec des motivations semblables. Certains de nos responsables étaient tentés de copier, avec plus ou moins de succès, la méthode « Raider » des Scouts de France. Méthode à mon avis tout sauf démocratique, mais il ne m’appartient pas d’en juger.

 

Enfin il ne faut pas négliger la résistance naturelle au changement qui se manifeste, quel que soit le domaine, devant tout projet de réforme.

 

 

 

 

CONCLUSION ( Essai de… ! )

 

 

 

 

Pour ce que j’ai connu en région parisienne, nous n’avons pas d’idée précise, du moins moi, sur la manière dont s’est déroulée globalement la « transition démocratique ».

 

Certainement très rapidement et dans des conditions optimales d’application des méthodes nouvelles pour les unités encadrées par des responsables très compétents et bien formés. (Cappy branche verte)

 

Plus lentement pour la majorité des unités, au rythme du renouvellement des cadres et de leur passage en camp école.

 

Ceci étant, je pense qu’il faut être lucide sur la réalité du Mouvement. Si nous avions des « unités idéales » estampillées « Esprit et Méthode », avec des responsables au top, celles-ci n’étaient pas les plus nombreuses, du moins à la branche E/E en Région parisienne.

 

Plus fréquentes étaient sans doute les unités qui pratiquaient un scoutisme moins évolué, moins exigeant peut-être, avec des responsables parfois un peu « légers », mais qui n’en offraient pas moins à nos garçons (et, après le choix de la coéducation, nos filles) la possibilité d’épanouir leurs qualités dans une société démocratique et les moyens de devenir des citoyens utiles, selon le vœu du Fondateur.

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